Histoire des télésièges


 

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Partez à la découverte de l'histoire des télésièges, avec une petite digression sur les télébennes.
Les sources ayant servi à l'élaboration de cet historique sont consultables en cliquant sur les astérisques (*) présents dans le texte lorsqu'elles sont disponibles en ligne.

Sommaire



 

Les pionniers américains des années 1930

Avec le développement de la pratique du ski alpin, dans les années 1930, quelques précurseurs imaginent des remontées mécaniques à destination de l'activité hivernale, plus légères que les seuls funiculaires et téléphériques qui existaient jusqu’alors et nécessitaient une infrastructure lourde. Le vieux continent s'équipait de monte-pentes et les skieurs affluaient toujours plus nombreux dans ces nouvelles « stations de ski ». Aux États-Unis, cet exemple européen inspira William Averell Harriman, le président de la grande compagnie ferroviaire Union Pacific Railroad, qui vit dans cet essor du ski alpin la possibilité de stimuler le transport ferroviaire des passagers. L'Union Pacific porta son dévolu sur un site à proximité de Ketchum, dans l'Idaho, qu'elle nomma Sun Valley.

Harriman missionna Glen Trout, ingénieur en chef de la Union Pacific Railroad, pour concevoir avec ses équipes les remontées du site avec comme prérogatives la possibilité de monter 100 skieurs par heure sur 600 mètres et un coût d'installation le plus économique possible*.

Au sein du bureau d'études de Glen Trout, l'ingénieur James Curran s'investit particulièrement du projet. Chez Paxton & Vierling Iron Works, son précédent employeur, Curran avait travaillé sur la conception d'un système de convoyeur aérien pour le transport et le chargement d'un flux continu de bananes depuis les quais jusqu'aux cales des bateaux à fruits au Honduras*. « Si il est possible de le faire avec des bananes, pourquoi de pourrions-nous pas suspendre des chaises à un convoyeur pour remonter les gens au sommet de la montagne ? » déclara Curran*. C'est ainsi qu'il imagina un transport pour personnes par des sièges monoplaces suspendus par une attache fixe à un câble aérien à mouvement unidirectionnel ; en bref : un télésiège ! L'idée fut jugée dangereuse par ses collègues, mais le champion de ski Charley Proctor, en charge de l'aménagement du domaine skiable de Sun Valley, fut séduit et valida le principe*.

Pour la conception, James Curran et Glen Trout s'associèrent à Gordon Bannerman, ingénieur à l'American Steel and Wire Company, qui avait déjà une expérience solide en matière de remontées mécaniques*.

Deux télésièges furent ainsi construits à Sun Valley en 1936 : l'un sur Proctor Mountain (nommée ainsi en référence à Charley Proctor) et l'autre sur Dollar Mountain. American Steel and Wire s'occupa de la fabrication de toutes les pièces métalliques. Elles furent expédiées par train à Sun Valley. Pour les ouvrages de ligne, on employa des troncs de bois créosotés. Sur place, Llyod Castagneto, ingénieur à l'Union Pacific Railroad fut en charge de la construction* qui fut réalisée par les employés de la compagnie de chemin de fer.

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Télésiège de Proctor Mountain à Sun Valley, USA
([F 04059] © The Community Library Ketchum, Regional History Department)


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Télésiège de Dollar Mountain à Sun Valley, USA
([F 04059] © The Community Library Ketchum, Regional History Department)


Le télésiège de Proctor Mountain peut sans doute être considéré comme le premier au monde puisqu'il semble avoir été achevé un peu avant celui de Dollar Mountain. Le principe de ces deux appareils fit l'objet d'un brevet d'invention conjointement déposé par Curran, Trout et Bannerman sous le nom d'Aerial Ski Tramway*.

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Brevet de l'Aerial Ski Tramway de Bannerman, Curran et Trout (DP)


Pour desservir le départ excentré du télésiège de Proctor Mountain, il fut construit un téléski (J-bar) de font de vallée, encore une fois très novateur, puisqu'il disposait d'un virage de ligne*. Mais, après une saison seulement, cet équipement fut déplacé pour desservir le tremplin de saut à ski sur une colline qui fut ensuite nommée Ruud Mountain en hommage au champion
Birger Ruud*.

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Télésiège de Ruud Mountain à Sun Valley, USA
([F 04059] © The Community Library Ketchum, Regional History Department)


Sa conception similaire aux deux téléportés de Proctor et Dollar Mountain lui permit d'être transformé facilement en télésiège. Il se démarquait cependant des deux autres par ses sièges très rudimentaires : une simple planche fixée horizontalement au bout de la suspente, sans dossier ni protection*. De vrais sièges furent cependant installés par la suite.

Ce télésiège de Ruud Moutain a survécu aux affres du temps et bien que n'étant plus exploité de nos jours, il est désormais inscrit au National Register of Historic Places et entretenu pour la mémoire.*

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Télésiège de Ruud Mountain de nos jours, à Sun Valley, USA (Kingmiwok - CC-by-sa)


L'exemple de Sun Valley inspira dans l'Utah l'Alta Winter Sports Association qui regroupait plusieurs hommes d'affaires de la région de Salt Lake City passionnés de ski alpin. Certains étaient présents lors de l'inauguration de Sun Valley et furent enthousiasmés par l'invention. Il fut ainsi décidé de lever des fonds pour la construction d'un équipement similaire sur le site d'Alta*.

L'association racheta un ancien transporteur aérien de la Michigan Utah Consolidated Mines Company qu'elle fit réimplanter sur les pentes de Collins Gulch. Le télésiège était donc un étonnant appareil bicâble où l'on avait remplacé les bennes par des sièges monoplaces, en conservant les chariots d'origine. La ligne était soutenue par 26 pylônes en bois. Il entra en service en janvier 1939*.

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Télésiège bicâble Collins, à Alta, USA (George Waters - Lien FB)


Toujours aux États-Unis il faut également mentionner l'histoire du télésiège du mont Hood à Timberline Logde, qui vit l'arrivée de l'emblématique compagnie Riblet sur le marché des remontées mécaniques pour skieurs. Elle s'inscrit dans le contexte économique du Second New Deal mis en œuvre par Roosevelt pour relever le pays après la Grande Dépression, que s'inscrit l'histoire du quatrième télésiège du monde.

Pour relancer l'économie, Roosevelt créa la Work Projects Administration (WPA), une agence fédérale chargée de mettre en oeuvre de multiples projets de grands travaux publics dans le pays, parmi lesquels, l'aménagement d'une centre touristique sur les pentes du mont Hood, dans l'Oregon, à quelque 100 km à l'est de Portland : Timberline Lodge.

Le projet, impulsé par Emerson J. Griffith, l'administrateur WPA de l'Oregon, fut mené par le United States Forest Service. La construction du pavillon touristique s'accompagna d'un vaste plan d'aménagement de la montagne, comprenant l'installation de remontées mécaniques. Inspirés par l'exemple de Sun Valley, le WPA et le US Forest Service commandèrent en 1938 à la Riblet Tramway Company la construction d'un premier télésiège. Cette société, spécialisée dans les transporteurs aériens de matériaux, livra sans difficulté en novembre 1939 le « Timberline ski lift ». Ce télésiège pris le nom de Magic Mile en référence à la course de ski qui se déroulait sur les pentes du mont Hood.

Emploi de pylônes métalliques standardisés, portées et hauteurs de survol plus importantes : avec Riblet, le télésiège s'inscrivait désormais aux États-Unis dans une logique industrielle. La société construira d'ailleurs plus de 500 télésièges !

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Télésiège Magic Mile à Timberline Lodge, USA, par Riblet (DP, coll. United States Forest Service)

 

L'Europe à la traîne ?

En Europe, des installations militaires assuraient déjà le transport de personnes, notamment des blessés, durant la Première Guerre mondiale sur le front des Dolomites, grace à des bennes rudimentaires (souvent de simples plateaux) suspendus à un câble d'acier*. Une décennie plus tard, un transporteur par câble analogue à un télésiège fut installé dans une mine de charbon en Hongrie pour transporter les mineurs assis dans les galeries souterraines*.

Dès 1937, en Suisse, sur les hauteurs du lac des Quatre-Cantons, l'hôtel Fürigen inaugurait l'étonnant Stehlift*, littéralement la remontée aérienne. Conçu par Anton Kesseli et Josef Niederberger Junior, cet équipement monocâble à mouvement continu, semblait inspiré des premiers télésièges américains.

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Stehlift de l'hôtel Fürigen, Suisse (DR, Schweiz Tourismus)


Il permettait le transport du bord du lac jusqu'à la pelouse aménagée de l'hôtel, sur des plateaux suspendus où les passagers prenaient place individuellement debout ! L'invention fut brevetée en mai 1938*. Elle ne connut pas de suite directe mais posait déjà les bases du télébenne qui se développera à partir de la fin des années 1940.
Schéma de principe du Stehlift de Kesseli et Niederberger :

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Brevet du Stehlift déposé en 1937 et publié en 1938 (DP)

Les véhicules étaient suspendus à intervalles réguliers à un câble à mouvement continu. La base des véhicules était constitué d'un plateau circulaire pouvant accueillir un passager debout. Il n'y avait aucun garde-corps ; l'usager se tenait à la suspente durant le trajet. La compensation de cette absence de protection était une faible hauteur de survol (de l'ordre du mètre). Les attaches fixes avaient pour originalité d'avoir des aiguilles qui venaient se piquer dans les torons du câble, un système qui fut également employé par le constructeur américain Riblet sur ses télésièges.


Mais étonnamment, le développement des remontées légères pour skieurs se concentrait essentiellement sur les téléskis, et dans une moindre mesure, les télé-traîneaux ou autres télé-luges. Il fallut attendre le 4 mars 1940 pour que soit mis en service le premier télésiège du continent* destiné au transport public de passagers. Il assurait la desserte du site touristique réputé de Pustevny dans les Beskides (actuelle République tchèque). L'équipement fut construit par la société Ingénierie František Wiesner de Chrudim (connue ensuite comme Transporta sous sa forme nationalisée). En plus des 81 sièges, l'engin était également doté de sept véhicules destinés au transport des bagages des résidents et à l'approvisionnement du site.

Le télésiège était initialement équipé de supports de ligne en bois qui avaient été ancrées à la hâte dans le sol gelé. Ceux-ci furent remplacés dès 1941* par des supports métalliques tripodes constitués d'un assemblage de trois poutrelles IPN pliées*. L'appareil fût reconstruit, toujours comme télésiège monoplace fixe, par Transporta en 1956 avec des pylônes en treillis du même type que ceux équipant les télésièges Von Roll VR101 (voir ci-dessous), pour lesquels le constructeur tchèque avait la licence*.

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Télésiège Ráztoka - Pustevny, actuelle République Tchèque (DR, archive SkiAlpin Pustevny)


La similitude des infrastructures des premiers télésièges américain, proches de celles d'un téléski, donna à l’ingénieur suisse Ernst Constam l'idée d'adapter ses remonte-pentes, en remplaçant à la belle saison les enrouleurs par des sièges monoplaces, pour assurer une exploitation estivale. Le premier téléski à recevoir des sièges fixes fut celui du Jochpass à Engelberg en Suisse à l'été 1944*. Cet équipement se vit même complété dès 1945 de petites cabines ; voilà qui n'est pas sans rappeler les installations mixtes modernes !

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Téléski équipé de sièges fixes puis cabines au Jochpass à Engelberg, Suisse (DR, archive Engelberg)


En France, Marcel Dumas avait préfiguré l'idée d'Ernst Constam dès 1936 à Villard-de-Lans, avec la mise en service d'un remonte-pente aux Cochettes pouvant fonctionner avec des sièges* ! Mais l’appareil ne fut à priori jamais exploité comme télésiège, sans doute faute d’autorisation.

Le remonte-pente de Marcel Dumas de 1936 était un étonnant téléski bicâble, qui, en cas de manque de neige, pouvait être exploité avec des sièges dont le poids aurait été supporté par le câble porteur. Ignorant certainement l’invention de James Curran à Sun Valley, l'ingénieux Dumas venait d'imaginer parallèlement, en France, le télésiège. Il avait nommé son engin « l'aéro-glisseur », faisant ainsi ressortir les deux modes possibles d'exploitation pour remonter la pente : en aérien avec des sièges, ou en glissant sur la neige avec des enrouleurs.
(voir l'historique du reportage sur la TCD2 de la Cote 2000)


Il fallut attendre la saison 1947-1948* pour que l’administration française des Ponts et Chaussées accepte l’exploitation de téléportés monocâbles pour voyageurs sur le territoire sous la pression des exploitants et des constructeurs, notamment des sallanchards Charles Viard et Léon Curral, titulaires, via la SSH (Société d'équipement des Stations de Sports d'Hiver), de la licence des téléskis-télésièges Constam pour la France, et de Gabriel Julliard, pionnier du téléski dès 1935 (voir l'historique des téléskis), qui avait entamé la construction d'un télébenne à Valloire sur les pentes de la Setaz.

Le chantier du télébenne commença dans l'illégalité, avant que, avec l'appui du préfet de Savoie et de M. Michaud, ingénieur des Ponts et Chaussées, l'interdiction ne fut levée. L'appareil fut finalement inauguré en grande pompe par l'administration en février 1948.

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Télébenne de la Sétaz à Valloire, Savoie - France (DR, coll. Laurent Berne)


Dérivé du télésiège fixe, et de concept proche du Stehlift suisse d'Anton Kesseli et Josef Niederberger, le télébenne emploie de petites nacelles fixes légères où l'on monte et descend en marche et dans lesquelles l'on voyage debout. Au sortir de la guerre, ce type d'appareil offrait l'avantage de rester relativement peu coûteux. Il connut un petit succès en France dans les années 1950 mais fut largement adopté par l’industrie italienne du ski, qui le perfectionna même par l’emploi de cabines fixes fermées de forme ovoïde allongée.


Dès lors, la SSH pu équiper pour la saison estivale le « télé » système Bleichert-Constam reliant le Col de Voza au Prarion, sur les hauteurs des Houches et Saint-Gervais-les-Bains (Haute-Savoie).

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Télésiège-téléski Col de Voza - Prarion, à Saint-Gervais-les-Bains, Haute-Savoie - France (DR, coll. Laurent Berne)


Elle assura aussi la construction du téléski-télésiège des Chavannes au col des Gets (Haute-Savoie), suivant une commande de Paul Bourgeois*, principal protagoniste du développement de cette station. Il s'agit sans doute du premier appareilde France à être prévu dès l'origine pour une exploitation avec sièges (en plus de l'exploitation comme téléski).

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Télésiège-téléski des Chavannes aux Gets, Savoie - France (DR, coll. Laurent Berne)


La SSH livra également en 1948 le télé de l'Aiguille Grive à Peisey (Savoie) sur l'initiative de Roger et Octave Collin, respectivement maire et président du ski-club de la commune. Cet équipement fut le premier appareil français où l'on utilisa également les sièges l'hiver. Il fut même exploité en mode mixte avec, à la fois des sièges et des archets sur la ligne ! Il disposait en outre d'une zone de débarquement/embarquement intermédiaire aux Baudets qui permettait, en cas de neige peu abondante, de monter par un siège, puis de skier sur la partie supérieure en remontant avec les enrouleurs.*

Rapidement, d'autres télésièges furent ensuite installés sur l'ensemble des massifs.

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Télésiège-téléski de Peisey, Savoie - France (DR, coll. Laurent Berne)

 

La Suisse invente le télésiège débrayable

Le 16 décembre 1945, c’est cette fois en Europe qu’une étape majeure fut franchie avec la mise en service à Flims, en Suisse, du premier télésiège débrayable au monde, construit par Von Roll, de Berne. Pour limiter l'écartement de la voie, l'appareil recevait des sièges biplaces couverts à assise latérale par rapport au sens de marche, qui allaient devenir emblématiques de l'industrie suisse des remontées mécaniques.

Le télésiège Flims - Foppa inaugurait l'emploi de la pince VR101 (voir La technologie débrayable), conçue en 1944 par Paul Zuberbühler, ingénieur en chef chez Von Roll. La principale caractéristique de cette pince était l’indépendance des 2 mors mobiles : l'un était animé par la gravité, l'autre par la tension d'un ressort. Elle reprenait une disposition à 4 galets inventée en 1918 par Henry Shields, chez Breco. La VR101 allait équiper près de 110 appareils de par le monde, télésièges comme télécabines. Certaines de ces installations restèrent en service jusque dans les années 2010 !

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Pince VR101 du Jennerbahn (monchu)


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Schéma de principe de la pince VR101 ouverte (à gauche) et dans la came d’embrayage (à droite).
La force de serrage du mors intérieur (à gauche, en vert) est transmise par la compression d’un ressort,
tandis que celle du mors extérieur (à droite, en rouge) est fournie par le poids de la suspente.



Plusieurs autres exemplaires similaires furent rapidement construits en Suisse. Parmi les plus célèbres, on peut citer ceux du First à Grindelwald (quatre sections !), celui de l’Oeschinensee à Kandersteg ainsi que les deux télésièges du Weissenstein.


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Télésiège du Weissenstein, Suisse (DR, coll. Laurent Berne)


A l'étranger, le produit remporta également un succès et des licences furent vendues à d’autres constructeurs, notamment à Transporta (actuelle république Tchèque) qui mit en service dès 1949 les télésièges débrayables de la Sněžka, ou encore, pour la France, à Monziès, qui livra en novembre 1952 le premier télésiège débrayable du pays à La Colmiane dans les Alpes Maritimes, mais qui restera l'unique exemplaire de télésiège VR101 de l'hexagone.

En Suisse, mentionnons également l'installation du Hörnli à Arosa. Construit comme téléski par Oehler en 1945, l'engin reçut dès 1948 des sièges monoplaces débrayables employant une attache conçue par Oehler utilisant un système de coincement par effet levier procuré par le poids du véhicule. Son emploi fut cependant limité à cette remontée.

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Pince gravitaire Oehler (DP)


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Télésiège du Hörnli , Suisse (DR)


Un autre prototype de pince débrayable, en France cette fois, fut testé en 1949 par l'Anglais Breco et le Suisse Giovanola lors la construction du télésiège des Mémises à Thollon, sur les hauteurs d'Evian-les-Bains (Haute-Savoie). L'équipement recevait des sièges biplaces couverts à assise latérale similaires aux Von Roll. Il employait une nouvelle pince, dite « à auto-serrage ». Elle était basée sur la disposition de chariot à quatre galets de type Breco-Shields. Sur cette pince, inventée en 1948, le serrage était réalisé par une came latérale qui, par le frottement du câble, venait faire pression sur ce dernier. Une came assurait la fermeture à la montée, et une autre, à disposition inversée, à la descente.

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Pince à autoserrage testée par Breco / Stime à Thollon-les-Mémises (DP)


L'engin aurait dû être le premier téléporté débrayable de France ; cependant, la pince s'avéra impossible à fiabiliser. Aussi, Marc Dumur, ingénieur chez Giovanola, développa quelques mois plus tard la célèbre pince à gravité Dumur Giovanola, toujours basée sur un chariot Shields, mais dont la force de serrage était donnée par la masse du véhicule (voir la partie Histoire des télécabines). Avec ce système, Giovanola livra en décembre 1950 à Verbier, la télécabine à cabines ouvertes de Médran puis modifia l’équipement de Thollon.

Encore en Suisse, l'ingénieur Gerhard Müller développa quant à lui une pince débrayable basée sur le principe du serrage à vis, reprenant le principe de fermeture de la pince de Theobal Obach de 1872. Le serrage de la pince Müller était effectué en plusieurs tours par une crémaillère située après le lanceur. Une roue dentée placée au centre de la pince venait s'y engrener, et son mouvement de rotation était transmis par le biais d'un accouplement élastique à une vis provoquant la fermeture du mors mobile. Le premier exemplaire de ce type équipa le télésiège biplace Sattel - Hochstuckli dès 1950. En France, cette pince Müller type A fut mise en oeuvre sous licence par la SSH sur le télésiège débrayable du Mont Chery aux Gets ou encore de Malatrait au Collet d'Allevard.

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Télésiège Sattel - Hochstuckli, Suisse (DR)


Constatant des problèmes de fiabilité du serrage avec les vibrations en ligne, Gerhard Müller fit évoluer son modèle pour aboutir à une version plus robuste, type C, munie de rondelles Belleville en 1954. Les installations primitives furent dès lors modifiées. La pince C Müller poursuivit une brillante carrière durant près de 25 ans, principalement sur des télécabines, directement sur des installations Müller ou par le biais de licences. En France elle fût importée par la SSH, puis la SAMVA (Société des Ateliers de Mécanique de la Vallée de l'Arve) et ensuite Weber.

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Schéma d'une pince à crémaillère Müller

 

Évolutions

On sait peu que dès 1951, la société parisienne Applevage proposa à son catalogue un télésiège débrayable triplace, avec comme fréquemment à l'époque, des sièges positionnés latéralement, à l'image des installations Von Roll VR101. Le modèle faisait appel au système original d’attache à crochet imaginé en 1948 par l'ingénieur mégevan Georges Reussner, mettant en œuvre une demi-suspente basse, solidaire du véhicule, qui s’accrochait à une demi-suspente restant fixée au câble de façon permanente. Si, finalement, aucun télésiège débrayable ne fut réalisé par Applevage, le constructeur livra cependant plusieurs télécabines avec cette attache à crochet Reussner (voir le chapitre relatif à l'histoire des télécabines).

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Télésiège débrayable triplace Applevage-Reuss(ner) conceptualisé en 1951 (coll. Laurent Berne)


Il faudra attendre 1963, pour que Riblet livre finalement au centre de ski de Boyne, aux États-Unis, le premier télésiège triplace au monde. C'est dans cette même station que Eron installa, dès l'année suivante, le premier télésiège quadriplace. Mais il s'agissait là de modèles à pinces fixes.

Au-delà de l'aspect capacitaire, le marché du télésiège connut quelques innovations comme l'emploi d'ouvrages de lignes de type monofût ou encore l'apparition de capotes de protection sur certaines installations. C'est Poma qui popularisa cet équipement dans les années 1960 en association avec une petite société iséroise, Sigma Plastique qui fournit des "bulles" légères en matériaux composites. Sigma devint ensuite le fournisseur de cabines de Poma (il produisit les iconiques œufs quadriplaces) puis du groupe HTI regroupant Poma et Leitner.

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Prototype de capote pour télésiège chez Sigma (F Tauzin - coll. Laurent Berne)


En outre, les débarquements de télésièges se faisaient initialement quelques dizaines de mètres avant la poulie de renvoi, généralement au niveau d'une estacade en bois. En 1968 Denis Creissels proposa le premier télésiège de France avec débarquement au droit de la poulie de renvoi, sur le télésiège Poma du Glacier de Sarennes, ce, d'une fait d'une contrainte de place, pour ne pas gêner le départ des pistes au sortir de la gare sommitale du téléphérique du Pic Blanc*. L'autorisation de mise en service de cet engin ne fut pas sans poser de problème au Service du Contrôle des Remontées Mécaniques de l'Isère.

La technologie débrayable resta quant à elle largement minoritaire jusque dans les années 1990, pénalisée par une conception relativement lourde. Pourtant, dès 1972, plusieurs constructeurs investissaient ce marché. Il faut saluer en la matière l'initiative de Pierre Goirand, qui supervisait depuis 1942 le département remontées mécaniques chez Neyret-Beylier (Neyrpic), qui transforma avec Montaz-Mautino le télésiège fixe biplace fixe de Bois Long aux Orres en appareil débrayable.

La technique était des plus novatrices puisque les gares restaient légères (une simple adjonction d'une rampe de ralentisseur-lanceur suffisait) et que la pince, dite MMG (Montaz-Mautino-Goirand), était à serrage direct (pas de genouillère), produit par deux ressorts à boudin parallèles et en position verticale. Elle ne nécessitait pas de garage puisque la conception de la pince permettait aux véhicules de rester en ligne en dehors de l'exploitation. La solution préfigurait les pinces modernes et les télésièges débrayables légers des années 1980. Un deuxième exemplaire de télésiège télésiège débrayable MMG était prévu aux Deux Alpes (le Fioc), mais l'appareil resta finalement en version fixe. Il semble que le retrait de Neyrpic du marché des remontées mécaniques (à la suite de l'accident du téléphérique automoteur Jandri 2 des Deux-Alpes) ainsi que quelques problèmes d'usure et de cadencement soient à l'origine de l'abandon de cette technologie précurseur.

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TSD2 de Bois Long, aux Orres - France, prototype Neyrpic/Montaz-Mautino à pince MMG (DR)


Toujours en 1972, Weber modernisait en France le système débrayable Müller en installant au Monêtier-les-Bains (Serre Chevalier) le télésiège de Chanteloube avec des pylônes tubulaires et des sièges biplaces face à la ligne avec embarquement skis aux pieds. Cette même année, Poma, déclinait également sa pince S débrayable qui équipait ses télécabines sur des télésièges biplaces à Pralognan-la-Vanoise (Dou de l'Ecu) et Saint-Lary (Soum de Matte).

Au contraire du télésiège MMG, ces télésièges débrayables Weber et Poma étaient conçus comme des télécabines, avec des bâtiments fermés (l'embarquement skis aux pieds n'était d'ailleurs pas nécessairement un critère de choix). L'économie se faisait bien entendu par l'emploi des sièges en lieu et place de cabines ; sièges qui offraient en outre l'avantage d'une emprise de stockage compacte là où d'imposants et coûteux garages étaient nécessaires avec des cabines. L'exploitant pouvaient par ailleurs envisager une évolution de son installation en télécabine, comme ce fut le cas sur le télésiège de la Grande Terche à Saint-Jean-d'Aulps.

Avec cette même technologie, le constructeur construisit en 1974 les premiers véritables télésièges triplaces débrayables au monde : le Crêt du Merle à La Clusaz, Molanes à Praloup et le Pré-Longis aux Orres. Un des avantages de ces installations était l'emploi d'une unique pince pour le transport de trois personnes là ou les cabines en nécessitaient deux pour quatre passagers.

En 1982, la même entreprise iséroise lançait la gare de télésiège Alpha : une gare compacte qui inaugurait une logique de rationalisation, intégrant un entraînement moderne prémonté en usine et une gestion hydraulique de la tension avec une emprise au sol limitée à seulement deux fûts. La gare était évolutive et pouvait recevoir des lanceurs à pneus. Le premier télésiège fixe à gare Alpha fut installé au Sauze et le premier appareil Alpha Évolutif à Serre-Chevalier (Le Blétonet).

La gare Poma Alpha fut ensuite produite à plusieurs centaines d'exemplaires de par le monde. Son dessin (issu d'un restylage réussi) et sa compacité firent que 30 ans plus tard, on construisait encore des gares Alpha. Rarement un produit aura autant traversé les époques !


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Gare Poma Alpha du télésiège du Signal, L'Alpe d'Huez, Isère - France (Laurent Berne)


La donne en matière de popularisation du télésiège débrayable évolua avec la conception de gammes reposant sur des gares dites modulaires, totalement standardisées avec celles des télécabines, et offrant des dimensionnements autorisant des capacités de véhicules plus importantes. Ainsi, en 1991, l'autrichien Doppelmayr mettait en service à la station du mont Orignal, au Canada, le premier télésiège débrayable à six places au monde. L'appareil a reçu des gares standardisées développées par la filiale française Etudes de Transports et qui équipaient déjà des débrayables quadriplaces du groupe en France.

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TDS6 "A" au Mont Orignal, Canada (Penseur)


En Europe, le premier six places fut installé par Poma deux ans plus tard à Avoriaz, offrant un débit de 3.000 personnes par heure. Toujours en France, la station de Val Thorens commandait, en 1995 à Doppelmayr, le premier télésiège débrayable à double embarquement (le télésiège des Cascades), avec un débit maximal record de 4.000 personnes par heure. Le constructeur autrichien réalisa également, en 1997, le premier télésiège huit places du monde à Vrådal, en Norvège.

Aujourd’hui le télésiège standard est le modèle débrayable à six places, principalement implanté sur les grands domaines. Il reçoit parfois différentes options qualitatives comme le chauffage, le garde-corps automatique ou la bulle de protection, très populaires en Autriche.

La modularité des gammes a en outre permis le développement d'installations combinant sur une même ligne, des sièges et des cabines qui, par des zones d'embarquement et débarquement séparées, perfectionnent l’idée d’installations mixtes initiée par le suisse Ernst Constam dès le milieu des années 1940 sur ses téléskis-télésièges fixes, et dans les années 1950 sur des lignes débrayables système Müller ou Von Roll. Le premier appareil moderne de ce type fut réalisé en 2002 par Doppelmayr à Maria Alm (Hochkönig) en Autriche. Selon le constructeur ces équipements sont nommés Combi, Télémix ou encore Télémixte.

Le télésiège fixe à quatre places reste quant à lui plébiscité par les petites stations ou pour des axes secondaires.

 

Chronologie


  • 1936 :
    - premiers télésièges au monde à Sun Valley (États-Unis), conçus par l'ingénieur James Curran et construits par American Steel and Wire ;

    - aéro-glisseur des Cochettes à Villard-de-Lans (France) par Marcel Dumas : téléski bicâble avec possibilité d'exploitation avec sièges suspendus (mode de fonctionnement à priori jamais employé cependant)* ;

  • 1939 - janvier : télésiège de Collins à Alta (États-Unis), adapté d'un ancien transporteur aérien de mine ;

  • 1939 - novembre : télésiège du mont Hood, dit Magic Mile, à Timberline Lodge (États-Unis), premier des quelque 500 télésièges Riblet à venir ;

  • 1940 : premier télésiège (monoplace) d'Europe, Ráztoka - Pustevny, dans les Beskides (actuelle République tchèque) par František Wiesner ;

  • 1944 : premier téléski transformé en télésiège (monoplace) pour l'exploitation estivale, au Jochpass à Engelberg, suivant le brevet de Constam ;

  • 1945 : Von Roll livre le premier TSD2 du monde de Flims à Foppa en Suisse, équipé des pinces VR101 ;

  • fin 1947 : Autorisation d'exploitation des télésièges en France par les Ponts et Chaussées ; ajout de sièges au télé système Constam du Col de Voza (Saint-Gervais) et début de la construction des téléskis-télésièges des Chavannes aux Gets et de l'Aiguille Grive à Peisey par la SSH ;

  • 1949 : Premier essai de fonctionnement d'un télésiège débrayable en France : le TSD2 (à siège latéraux) des Mémises à Thollon (Haute-Savoie), par Breco-Stime et Giovanola. Du fait d'une pince non fiable, le prototype de TSD2 n'entra pas en service et fut modifié selon le nouveau système Dumur-Giovanola pour n'ouvrir qu'en décembre 1952 ;

  • 1952 - Novembre : inauguration du premier télésiège débrayable de France : le TSD2 de La Colmiane à Valdeblore (Alpes-Maritimes), par Monziès (de type VR101, licence Von Roll) ;

  • 1963 : premiers TSF3 à Boyne aux États-Unis par Riblet ;

  • 1964 : premier TSF4, toujours à Boyne par Heron Engineering ;

  • 1972 : premier TSD2 à gare légère : Bois Long aux Orres, à pince MMG par Montaz-Mautino/Neyrpic ;

  • Années 1980 : standardisation et gammes débrayables avec des gares dites légères ;

  • 1991 : premier TSD6 du monde au mont Orignal, au Canada, par Doppelmayr ;

  • 1997 : premier TSD8 du monde à Vrådal, en Norvège, par Doppelmayr.


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(Collection Laurent Berne)

Laurent Berne pour www.remontees-mecaniques.net

Dernière révision le 11/02/2023 - 08:18