Alexandre Maulin - Président de Domaines Skiables de France
Lors du salon Mountain Planet 2022, Alexandre Maulin (Président de Domaines Skiables de France, et du groupe Maulin Ski) nous a accordé une interview pour évoquer la situation actuelle des domaines skiables de France, la saison 2021/22 et son regard sur le marché actuel des remontées mécaniques.
Bonjour Mr Maulin et merci d'accepter notre demande d'interview.
Après une saison blanche administratives êtes-vous satisfait de la saison 2021/22 qui vient de se terminer ?
- On est déjà satisfait car on a pu ouvrir. Certes, avec des conditions compliquées : comme devoir appliquer le Pass, ce n’était pas de gaîté de coeur, comme le masque sur les remontées mécaniques -même sur les télésièges- pendant une longue partie de la saison. De plus, il y’a eu des travel-bans pour certains clients étrangers, et l’absence des classes de neige. En fait, il y’a eu beaucoup de défis pour relancer le ski et cette saison, on l’a fait.
Concrètement les résultats sont corrects, même voir bons. On ne peut que se réjouir car pendant 18 mois on nous a fait comprendre que le ski c’était fini, que le ski n’était pas le moteur du territoire. Toutefois, on a eu la chance de voir que nos clients ont répondu présents, en grande quantité, et ça cela a été juste génial.
Il avait été évoqué le fait que la saison blanche aurait des répercussions sur les investissements à venir des domaines skiables de France. Quel est votre sentiment fin avril 2022, sur les capacités d’investissements pour les années à venir ?
- Je pense que grâce à l’indemnisation que nous avons obtenue, nous avons réussi à limiter la casse. Hormis pour quelques gros investissements, qui ont été surreprésentés en 2021 car ils étaient planifiés à l’avance dans le cadre des délégations de service public, il y a eu un frein indéniable dans les investissements l’année dernière car nous avons fermé un an, et nous étions dans l’incertitude de la saison à venir.
Là, on voit qu’aujourd’hui les gens sont présents (au Montain Planet), parlent de projets avec toutefois quelques incertitudes sur l’avenir concernant l’augmentation des matières premières, donc des produits finis, les délais de livraison et les coûts de l’énergie. Malgré cela, il y’a une volonté de travailler et de reprendre là où l’on en était.
Photo Tiphaine Buccino
Comment voyez-vous l’évolution des besoins de remontées mécaniques en France dans les années à venir ? On évoque des projets d’ascenseurs valléens, de liaisons entre domaines skiables, ou de remplacements d’appareils existants.
- Aujourd’hui, dans un futur proche, il y'a la restructuration des domaines skiables. Ainsi, on remplace souvent deux remontées mécaniques par une seule, on modernise, on s’adapte aux attentes de la clientèle sur le territoire du domaine skiable existant. Il y a quelques projets d’extension, voire de liaisons, mais qui sont aux balbutiements et qui doivent passer par toutes les strates administratives pour vérifier que le projet soit cohérent et qu’ils répondent aux enjeux environnementaux. Car aujourd’hui nous ne travaillons plus comme nous le faisions il y a 20 ans l’époque du « on décide, on fait ». Maintenant, on imagine, on développe, on étudie, on vérifie la conformité, on vérifie l’impact environnemental et ensuite seulement on lance le projet.
Les ascenseurs valléens sont des appareils qui peuvent être amenés à se développer. Je pense qu’il faut également trouver le modèle économique de ce type d’appareil. Car les ascenseurs valléens sont des équipements de transport urbain, ou de destination, plus que ne l’est la remontée mécanique touristique comme on l’a connaît nous aujourd’hui. Cela ne peut être qu’un point fort, mais cela doit être réfléchi dans un cadre multi-modal. Car avec un ascenseur valléen cela signifie qu’il faut qu’il y ait une gare, des infrastructures, ou de grands parkings.
J’entends toujours parler du dernier kilomètre qui pollue. Oui il pollue, mais ceux d’avant polluent aussi. Donc, si on veut décarboner l’activité de nos clients, on a un vrai besoin, une vraie utilité, à réfléchir sur l’ensemble du déplacement du client et pas seulement le dernier accès à la station de ski.
L’une des nouveautés chez les fabricants est l’automatisation des remontées mécaniques, soit un seul conducteur sur 2 ou 3 gares. Pensez-vous que ce type d’équipements peut intéresser les domaines skiables de France ?
- Dans certain cas particulier, cela peut peut-être intéresser. Mais, nous sommes avant tout un métier d’accueil ou nous accompagnons le client. La machine, techniquement, peut être pilotée par une seule personne, mais nous aurons toujours besoin d’équipes pour accueillir, vérifier le titre de transport, pour accompagner à l’embarquement des publics variés, comme les enfants. Donc demain, il n’y aura pas un opérateur qui dirigera tout un domaine skiable depuis un bureau. Il faut que la technique avance pour permettre d’avoir une personne concentrée sur le pilotage, et que les autres personnels soient encore plus au service du client.
Comparé aux autres pays alpins, qui sont la première concurrence du ski français, comment expliquer le manque de confort présent dans les investissements des remontées mécaniques en France ? Notamment sur les produits phares du marché que sont les télésièges débrayables (absence de bulles de protections, de garage, d’assises chauffantes…) ou les télécabines.
- Je pense qu’il y a un surinvestissement les Länders autrichiens et les Dolomites (Italie). Mais est ce que tous les clients attendent vraiment cela ? La question se pose. Chaque territoire y répond. Je pense qu’entre Chalmazel ou Val Thorens, les besoins ne sont pas les mêmes. Il faut savoir adapter nos investissements en fonction de la clientèle.
Par exemple, les bulles ont leurs avantages mais aussi leurs contraintes comme arrêter plus vite un appareil en cas de vent. En France, il n’y a pas un plan d’aménagement global. Aujourd’hui, on voit beaucoup de télécabines se faire en France et je pense que le télésiège six places standard est un très bon produit.
Il y’a quelques semaines, le groupe HTI a annoncé le fait de devenir l’actionnaire majoritaire de l’entreprise Bartholet. Mécaniquement, l’intégration de Bartholet au sein d’HTI où sont présents Leitner et Pomagalski va avoir un impact sur la concurrence. Quel est votre sentiment sur cet état de fait chez vos fournisseurs de remontées mécaniques ?
- On avait accueilli en France avec beaucoup d’enthousiasme l’arrivée de BMF il y’a une quinzaine d’année sur le marché des télésièges débrayables, puis des télécabines. J’ai même pour mes sociétés acheté deux remontées mécaniques au groupe BMF. Je pense qu’il est important d’avoir plusieurs concurrents. Aujourd’hui, j’attends de voir comment le groupe HTI va interagir entre ses trois marques. Le risque est d’avoir un net recul sur la compétition entre constructeurs.
Il y’a quelques semaines, le groupe Vail Resorts a annoncé son arrivée en Europe avec l’achat majoritaire d’Andermatt-Sedrun en Suisse. Comment voyez-vous l’arrivée de cet acteur majeur dans les Alpes, et pensez-vous que Vail Resorts va chercher à plus se développer en Europe ?
- Je ne connais pas leur stratégie. Je pense que Vail Resorts avait une envie de venir sur un pays comme la Suisse comparable certainement à leur modèle. Toutefois, dans la situation française, où nous sommes sur des délégations de services publics (DSP), ce n’est pas du tout le même métier. Sans être devin, je ne pense pas qu’ils auront un développement dans notre pays.
Pensez-vous que le modèle de forfaits « saisonnier multi-stations » lancé par Vail Resorts (Epic Pass) il y a une quinzaine d’années, développé en Suisse depuis avec l’exemple du Magic Pass peut voir le jour en France, et ainsi faire évoluer le classique forfait 6 jours du dimanche au vendredi ?
- Ce n’est pas le même type de clientèle qui achèteront les deux produits ! Le client qui vient en séjour dans une station veut venir poser sa voiture et profiter du territoire sur lequel il vient en vacances. Donc là, on restera sur des clients intéressés par des forfaits séjours sur une station, ou un domaine relié, ou peut-être aller picorer une journée ailleurs. Mais on n’est pas sur du forfait saison multi-stations.
Pour les skieurs locaux, les Suisses ont décidé de faire un forfait saison multi-stations. En France, on voit émerger plusieurs initiatives avec des forfaits qui donnent accès à plusieurs stations en mode « Pay-per-use ». Ainsi, le client paye à la consommation et donc à son juste engagement par rapport à son envie de skier, ou à la météo. Ce sont des produits très différents mais je pense qu’il n’y a pas forcément de velléité en France à aller sur un forfait saison multi-stations.
Concernant le sujet des anciennes remontées mécaniques, pensez-vous que le recyclage ou la réimplantation d’appareils peut plus se développer en France ?
- Nos règles européennes sont très strictes et très dures sur la réutilisation du matériel. Beaucoup d’appareils, qui n’ont pas tant d’années, sont aujourd’hui non-réutilisables ce qui est dommage. Depuis 1986, nous construisons les remontées mécaniques avec des tests de durée de vie et je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas les réutiliser. J’ai pour ma part déjà plusieurs fois réinstallé des appareils après les avoir remplacés. Cela marche et permet de réduire le coût de l’investissement lorsque l’on réutilise son propre matériel. C’est à développer, car cette démarche va dans le sens du développement durable. Je pense qu’il faut que l’on y réfléchisse de plus en plus.
Pouvez-vous nous parler du rôle de DSF dans le nettoyage/démontage des anciens sites, petites stations, aujourd’hui non exploitées ?
- Je pense que c’est important, car c’est notre rôle également. Aujourd’hui, on entend souvent dire qu’il y aurait 300 stations fantômes ! Pourtant, on se promène tous en montagne et il n’y a évidemment pas 300 stations avec commerces, bâtiments, qui ont fermées et qui sont des zones fantômes. En fait, ce type d’abandon, c’est souvent une remontée mécanique qui a été installée au balbutiement du ski. Lorsque quelqu’un essayait de lancer un téléski derrière sa ferme pour avoir une activité complémentaire lors de l’hiver. Cela a pu marcher quelques années et n’a plus correspondu aux attentes de la clientèle.
Aujourd’hui, c’est important si l’on peut accompagner et aider au démontage de ces anciennes remontées mécaniques. Cela fait partie de nos engagements pris dans nos 16 éco-engagements par les Domaines Skiables de France : rendre la nature la plus vierge possible dans les endroits où il n’y a plus d’activité humaine.
Ici au Mountain Planet, Laurent Vanat dans la présentation de son rapport annuel sur l’économie du ski, expliquait que l’industrie du ski avait intérêt à capter la jeunesse urbaine qui sera la clientèle de demain des domaines skiables. Dans son exposé, il prenait l’exemple particulier de la Chine avec le développement important des ski-dômes. Est-ce que vous pensez qu’en France, par exemple en Île de France avec sa forte population urbaine cliente des Alpes, il y aurait un intérêt particulier pour construire ce type de structure ?
- Il y’a déjà eu plusieurs projets en région parisienne, dans le passé, de construire des stations indoors et aucun n’a abouti car je pense qu’il n’y a pas de modèle économique sur ce type de structure.
Oui, je suis d’accord avec Laurent Vanat, le jeune citadin, comme tous jeunes en France, c’est notre avenir. Aujourd’hui, il y a des initiatives pour permettre de découvrir la montagne, et la première d’entre elles, c’est la « classe de neige ». Dernièrement, le syndicat des moniteurs de ski a créé un fond de dotation pour les classes de neige et la région Auvergne Rhône Alpes finance l’accès aux classes de neige. A DSF, nous travaillons également sur l’accès au ski des publics défavorisés.
Je pense que le meilleur moyen de donner envie à des jeunes de venir en montagne, ce n’est pas de les faire venir dans un dôme mais, c’est de leur permettre, avec un groupe, dans le cadre scolaire, de venir découvrir la montagne. Pas seulement le ski. Car on vend le ski qui est l’attraction économique du territoire, mais les gens ne viennent pas que pour cela. On ne mettra jamais de chiens de traîneaux, on n’aura jamais la balade en raquettes, ni l’ambiance du restaurant le soir pour manger une fondue dans un dôme. Donc, l’ensemble de la découverte du milieu montagnard ne se fera pas dans un dôme, mais en venant nous visiter en montagne.
Alexandre Maulin, merci pour cet entretien.
Entretien réalisé le 27 avril 2022, au salon Mountain Planet (Grenoble).
Pour aller plus loin :
- Le site internet de DSF : Domaines skiables de France.
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