Histoire des télécabines


 

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Partez à la découverte de l'histoire des télécabines et de ses dérivés (DMC, Funitel...). Il sera uniquement question ici des systèmes monocâbles (et double-monocâbles). Les téléphériques bicâbles débrayables sont traités avec l'histoire des téléphériques.
Les sources ayant servi à l'élaboration de cet historique sont consultables en cliquant sur les astérisques (*) présents dans le texte lorsqu'elles sont disponibles en ligne.

Sommaire



 

Carlevaro et Savio : ou la naissance de la télécabine et de la pince moderne

Sans doute inspirés par le succès des télésièges débrayables construits à partir de 1945 par Von Roll (voir chapitre sur les télésièges), les ingénieurs italiens Ugo Carlevaro et Felice Savio développèrent dès 1948 une pince pour appareils débrayables dont la force de serrage était procurée uniquement par UN ressort, ce qui en fit le précurseur des pinces utilisées de nos jours par les principaux constructeurs. Sa force de serrage de 2,7 tonnes permettait d’équiper des lignes pentues.


La pince Carlevaro et Savio de 1948 fonctionne selon le principe suivant :

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Schéma de la première pince Carlevaro & Savio (DP)


La pression sur le ressort était effectuée par le biais d’un excentrique (6) provoquant un mouvement de rapprochement ou d'éloignement selon qu’un levier basculant (12) était positionné à la verticale (cabine en ligne) ou horizontale (cabine en gare) par l'appui d’un rail sur la galette (14) en terminaison dudit levier.

Les pinces disposaient en outre de galets de roulement (13) sur le levier, de sorte que lorsque ce dernier était en position horizontale – donc mâchoire ouverte –, ces galets se retrouvaient à l’aplomb du câble. Ce système de sécurité était notamment destiné à parer tout déraillement en sortie de gare : en cas d’un hypothétique mauvais embrayage, la cabine auraient été en roulement libre sur le câble, et bloquée par une butée à ressort avant qu'elle ne soit engagée en ligne.



La pince Carlevaro & Savio fut mise en œuvre en 1949 sur la première télécabine monocâble au monde, à Alagna (Italie) avec une ligne dont la pente atteignait 110%.

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Télécabine du Belvedere à Alagna, Italie, par Carlevaro & Savio (DR, coll. Funivie.org)


Outre sa pince à ressort, cet équipement se distinguait des télésièges débrayables d’alors par le lanceur équipé d'un chariot motorisé et par le dessin novateur des cabines biplaces fermées, de forme ovoïde, qui allait donner à ce type d’installation son populaire sobriquet : « les œufs ».

Carlevaro & Savio construisirent directement une trentaine d'installations débrayables mais ils accordèrent aussi plusieurs licences qui permirent à ce type de télécabine de se répandre rapidement de par le monde.


C’est en employant ce système que Frédéric Mancini et son fils Pierre, à la tête de la société Câbles et Monorails, mirent en service en mars 1951 la première télécabine de l’hexagone à la Cote 2000, sur les hauteurs de Villard-de-Lans (Isère).

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Télécabine de la Cote 2000 à Villard-de-Lans, France, par Câbles & Monorails Mancini (DR, coll. Laurent Berne)


Aux Etats-Unis, les remontées Carlevaro & Savio connurent également un succès important, impulsé par Laurence Jump, PDG d'Arapahoe Basin, à la tête de Telecar, qui livrait dès 1957 la télécabine du Wildcat dans le New Hampshire, première télécabine monocâble débrayable de montagne des USA.

Notons que parallèlement à l’installation des télécabines système Carlevaro & Savio, l’industrie italienne du ski développa une spécificité avec la construction dans le pays de plusieurs dizaines de téléportés fixes à cabines, qui reprenaient le principe du télébenne mais employaient des cabines fermées de forme ovoïde allongée, comme par exemple celui du Staunies, installé en 1968 et devenu une installation emblématique de Cortina d'Ampezzo.

 

La domination des télécabines à pinces gravitaires

En France, la STIME, représentant du Britanique Breco et le constructeur suisse Giovanola testèrent en 1949, lors de la construction du « télé-siège » débrayable des Mémises à Thollon (Haute-Savoie), une nouvelle pince, dite « à auto-serrage » (voir la page relative à l'histoire des télésièges) ; mais les essais ne s' avérèrent pas concluants. Cependant, en conservant la même disposition de chariot à 4 galets avec serrage central, Marc Dumur, ingénieur chez Giovanola, développa finalement quelques mois plus tard une pince dont la force de serrage était donnée uniquement par la masse du véhicule par une coulisse en partie haute de la suspente : ainsi cette force restait constante quelle que soit la pente.

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Pince Dumur Giovanola (Collection Florent, Musée des Ormonts, merci à Fael)



La pince Dumur Giovanola, brevet suisse 286312, fonctionne selon le principe suivant :

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Schéma de la pince Dumur Giovanola (DP)

En position fermée, l'axe (2) du galet d'ouverture de la pince (1), fixé à la partie supérieure de la suspension, est verrouillé par un verrou (3), agissant sur le prolongement de l'axe du galet d'ouverture et empêchant la tige de suspension de se déplacer verticalement. La tête (6) pouvant pivoter autour d'un axe horizontal perpendiculaire à celui du câble, dans un palier, faisant corps avec le châssis de la pince, guide une glissière verticale avec une coulisse oblique (5), prolongeant la suspension. Une mâchoire mobile (8), prenant appui sur la coulisse oblique par l'intermédiaire d'une tige horizontale centrée (4), transmet la force verticale sur le câble retenu par la mâchoire opposée fixe (9). Un châssis (7) avec galets de roulement (10) guide la mâchoire mobile verticalement.

Lors de l'accrochage et du décrochage, le galet d'ouverture fixé à la suspension (1) s'engage sur un rail (A), il soulève la cabine et, supprimant l'action de la pesanteur, ouvre la pince (8) en faisant agir la coulisse (5) oblique en sens inverse.
Le verrou (3), fixé à la tête de guidage pivotante, empêchant la suspension (2) de remonter et par conséquent la pince de s'ouvrir, un rail de déverrouillage le met hors d'action lors de l’embrayage et du débrayage. Le verrou est destiné à empêcher une ouverture inopinée de la pince pendant le trajet au cas où, par exemple, une cabine vide serait soulevée par un ouragan.

Un rail supérieur (B) et inférieur (C) retient le châssis (7) afin d'éviter que ce dernier suive le mouvement vertical engendré par le rail d'ouverture (A). Lors du retrait du câble des mâchoires, la coulisse, en l'absence d'obstacle, descend jusqu'à la butée.


Avec ce système, Giovanola livra en décembre 1950 à Verbier, la télécabine à cabines ouvertes de Médran. Grâce au savoir-faire de du constructeur en matière de conduites forcées, cet équipement inaugura l'emploi de pylônes tubulaires modernes sur les téléportés, plusieurs décennies avant leur généralisation par la plupart des constructeurs de remontées mécaniques.

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Télécabine à cabines ouvertes de Médran à Verbier, Suisse, par Giovanola (Commune de Bagnes - DR Gyger & Klopfenstein Adelboden)


Bien qu’initialement nommée « télé-siège », et équipée de cabines ouvertes, la ligne Verbier - Médran est bien souvent considérée comme la première télécabine monocâble débrayable de Suisse. Précisons qu'une première remontées mécaniques helvétique à cabines débrayables fut mis en service dès le 06 mai 1950 au Cry d'Er à Crans-sur-Sierre par le constructeur Bell. Du fait de ces cabines à quatre places l'équipement de Crans-sur-Sierre est fréquemment assimilé à une télécabine, cependant, ce « téléférique à nacelles » (telle était l'appellation d'origine) était une installation bicâble (avec un câble porteur et un câble tracteur), construite selon le système de l'ingénieur autrichien Wallmannsberger (voir la page sur l'histoire des téléphériques où ce type d'appareils est plus particulièrement abordé).


Les pinces Dumur Giovanola firent l'objet de licences concédées à de nombreux constructeurs : en Suisse même à Habegger (récupéré par Von Roll après absorption) et Städeli et à l'étranger à l'anglais Breco, aux italiens Ceretti & Tanfani, Sacif et à l'allemand Pohlig, transformé après fusions en PHB puis PWH, et qui construisit sous ces différents noms une quinzaine d'appareils de ce type en Europe. PHB réalisa aussi plusieurs télécabines à pinces Dumur Giovanola aux Etats-Unis directement puis grâce à un partenariat avec le constructeur Hall, et en France par le biais de Transtélé. Les dernières télécabines à pinces Giovanola furent construites en 1984.

Chez Von Roll, la pince débrayable VR101, qui pour rappel reposait à la fois sur un serrage par gravité et par ressort, fut logiquement mise en œuvre dès les années 1950 sur des télécabines, notamment dans des parcs d’attractions, comme à Disneyland en Californie où l'attraction Skyway livrée en 1956 constitua le premier exemplaire de télécabine débrayable monocâble du continent américain.

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Le Skyway de Disneyland, Californie, USA, par Von Roll (courtesy Orange County Archives)


Le principe de serrage par gravité fut utilisé en France chez Neyret-Beylier par l’ingénieur téléphériste grenoblois Pierre Goirand qui conçut la première pince débrayable française de téléporté monocâble pour voyageurs*.

La pince Goirand fonctionnait selon le principe suivant :

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Pince Goirand (DP)

Le serrage gravitaire de cette pince Goirand était assuré par une double genouillère formant un quadrilatère dont deux côtés était constitués par une biellette de débrayage et par le chariot à l’aplomb de la suspente. L’ensemble était sécurisé par le rappel élastique de deux ressorts agissant en torsion.


Le premier exemplaire de télécabine à pince Goirand fut la télévoiture du Diable, mise en service en 1956 à l'Alpe de Venosc (future station des Deux Alpes) (Isère).

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Télévoiture du Diable, L'Alpe de Venosc, France, par Neyret-Beylier (DR)


S’en suivit une poignée d’autres : la télécabine de Tovière à Tignes (Savoie) quelques mois plus tard, puis, dans les Pyrénées-Atlantiques, celles de Pene Blanque à Gourette et des grottes de Bétharram en 1958, avec l’emploi sur cette dernière d’un impressionnant pylône d’angle qui fit l’objet d’un brevet.

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Télévoiture des grottes de Bétharram, France, par Neyret-Beylier (DR, coll. Laurent Berne)


Toujours en France, l’ingénieur Roger Laurent élabora au début des années 1950 une pince également gravitaire pour téléportés (télésièges ou télécabines), avec une disposition de chariot à 2x2 galets parallèles (type Shields) courante à l'époque (chez Breco, Von Roll, Giovanola).


Roger Laurent, ingénieur des Ponts et Chaussées, est une figure de premier plan du transport par câble français des années 1950 à 1970. Il conseilla et aida Gabriel Julliard dans la conception de ses télébennes et développa ses propres systèmes de télésièges fixes et télécabines débrayables (à pince gravitaire) qu'il proposa à plusieurs constructeurs (Clerc-Renaud, Sarrasola, Applevage (Fives Lille - Cail)), puis apporta à Poma en 1965 la célèbre Pince S avec le succès que l'on lui connait (voir plus bas). En 1960, il contribua à la création de la Sacmi, qui commercialisa ses brevets puis fut le chaudronnier attitré de Poma et intégra le groupe en 1970. Roger Laurent fut en outre l'inventeur du mini-métro Poma 2000 dont un exemplaire fut construit à Laon.


Pour la commercialisation de sa première pince, Roger Laurent travaillait avec Gabriel Julliard et Clerc-Renaud (qui construisait les télébennes de Julliard). Julliard étant décédé cette même année 1954, ce modèle de télécabine fut directement commercialisé par Clerc-Renaud, mais sans succès.

Dès le milieu des années 1950, Roger Laurent fit évoluer sa pince. Il conçut la RYL54, mixant serrage gravitaire et par ressort.

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Pince RYL54 de Roger Laurent (Remerciements à JM Grand et Loutseu)


La pince RYL54 de Roger Laurentfonctionnait selon le principe suivant :

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Schéma de la pince RYL54 (DR)


Le serrage restait effectué par poids suspendu (par gravité avec le poids du véhicule), agissant sur une coulisse provocant la fermeture de la mâchoire sur le câble. Mais il se trouvait renforcé par l'action d'un ressort en compression emprisonné dans un carter (cette conception de ressort encapsulé préfigurait celle des pinces S). Le lancement était effectué par une courroie qui accélérait le chariot, qui rejoignait le câble à l'aide d'un rail incliné.


Laurent s'associa cette fois à la société savoyarde Sarrasola, connue pour ses lignes électriques. Celle-ci réalisa à compter de 1957 avec la nouvelle pince, la télécabine biplace des Tovets à Courchevel en s'appuyant sur les pylônes d'un télébenne Clerc-Renaud restant inachevé, puis assurant la transformation en télécabine du télébenne des Verdons en 1961.

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Télécabine RYL54 des Tovets, Courchevel, France, par Sarrasola, syst. Laurent (DR, coll. Laurent Berne)


Le modèle de télécabines système Laurent fut amélioré en 1962 au Drouvet, à Orcières-Merlette (Hautes-Alpes), par l'emploi de cabines avec assises côte à côte biplace mais une largeur de ligne dimensionnée pour des véhicules à quatre places.

Sarrasola s'étant retiré du marché des remontées mécaniques, à compter de 1963 c'est Applevage, fraîchement racheté par Fives Lille - Cail, qui commercialisa les télécabines système Laurent. Le constructeur livra ainsi en 1964 la télécabine biplace de Bonascre, à Ax-les-Thermes dans les Pyrénées, et celle du Pleney, à Morzine, qui reçut des cabines quadriplaces à double pince RYL54. Ce furent là les derniers exemplaires de télécabines à pince RYL54 à avoir été produits.

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Télécabine du Pleney à Morzine, France, par Applevage (DR, coll. Laurent Berne)

 

Crochet, crémaillère, et rondelles élastiques

La France et la Suisse partagèrent le système original d’attache de cabines à crochet imaginé en 1948 par l'ingénieur mégevan Georges Reussner, mettant en œuvre une demi-suspente basse, solidaire de la cabine, qui s’accrochait à une demi-suspente restant fixée au câble de façon permanente.

Principe de fonctionnement du système Reussner de 1948 :

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Schéma d'une cabine avec suspente à attache crochet type Reussner (Coll. Laurent Berne)


Une demi-suspente haute (A), dite suspension, était attachée au câble de manière fixe (hors déplacements de maintenance pour limiter l'usure. Elle recevait en son bas un crochet (B) qui venait se solidariser en sortie de gare de la demi-suspente basse (C) dite chariot-porteur fixé sur la cabine. Plus de détails explicatifs sont disponible dans le reportage de la TCD4 du Jaillet.


Originaire de La Chaux-de-Fonds en Suisse, Georges Reussner avait gardé de bons contacts avec ce pays qu'il avait quitté pour la France en 1925. Il y entama un partenariat avec le constructeur Oehler, qui employa son brevet sur la télécabine Cry d'Err – Bella Lui à Crans-Montana en 1951. Il s'agissait de la toute première télécabine monocâble quadriplace de Suisse. Ce système de crochet Reussner fut reconduit en 1954 sur télécabine du Pizol à Wangs.

En France, le système Reuss(ner) fut commercialisé à partir de 1951 par Applevage et mis en application en 1952 à Megève, dans la station même de Georges Reussner, sur la télécabine du Jaillet, inaugurant également l’emploi de cabines de quatre places assises en France. Vinrent également les télécabines Applevage-Reussner du Moucherotte à Saint-Nizier en 1954, de la Kédeuze aux Carroz d'Arâches la même année et du mont Rond au Col de la Faucille en 1957.

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Télécabine du Jaillet à Megève, France, par Applevage (DR, coll. Monchu)


Le système à crochet fut en outre repris en Autriche par les ateliers Kienast sur la télécabine Katrina de Bad Ischl. Mais la commercialisation de ce type de télécabines fut cependant abandonnée dès la fin des années 1950 du fait, notamment, de la sensibilité au vent, de la longueur des gares imposée par le système et de la nécessité de déplacer régulièrement les attaches au câble pour limiter son usure. Ces équipements Reussner seront finalement remplacés ou arrêtés dans les années 1970.

La concurrence la plus importante au système Carlevaro & Savio et aux pinces gravitaires vint dans les années 1950 de Suisse, avec la version C de l’attache à vis développée par l'ingénieur Gerhard Müller. La pince Müller type C était basée sur le principe du serrage à vis par crémaillère (un type d'attache imaginé par l'autrichien Theobald Obach dès 1872), renforcé par des rondelles Belleville.

Principe de fonctionnement de la pince Müller type C :

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Schéma d'une pince à crémaillère Müller (DP)

Le débrayage/embrayage est assuré en vissant ou dévissant la pince par le biais d'un pignon entrant en contact, en entrée et sortie de gare, avec une crémaillère. Si la crémaillère est en-dessous de la pince, la pince se referme ; si la crémaillère est au-dessous de la pince. Les de rondelles élastiques (dites Belleville) bloquent le mécanisme en mode fermé et renforcent le serrage du pas de vis.


Le système Müller type C fut adapté dès 1954 sur un chariot à double pince pour équiper la télécabine quadriplace Ried bei Brig - Rosswald qui ouvrit en décembre et celle de Gstaad - Eggli qui suivit en février 1955.

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Télécabine de l'Eggli à Gstaad, Suisse, par Müller (DR, dans reportage de Fael)


Müller produisit en série une vingtaine de télécabines de type C pour le marché suisse. A l’étranger, ces appareils furent aussi popularisés aux USA par sa filiale Mueller Lifts, mais également par le bais de licences accordées en Autriche à Girak, au Japon à Taihei Sakudo et en France à la Société d'Equipement des Stations de Sports d'Hiver (SESSH), devenue ensuite la SAMVA (Société des Ateliers de Mécanique de la Vallée de l'Arve) et à Weber, qui livra notamment en 1974 une télécabine 6 places à base de pinces C : la Perdrix à Super-Besse (Puy-de-Dôme).

En matière de rondelles élastiques, il faut mentionner le succès de Montaz Mautino. Après avoir livré en 1976, la télécabine des Chalmettes à Mongenèvre avec des pinces à ressorts encapsulés Agudio, Montaz Mautino entama dès l'année suivante le développement de sa propre gamme débrayable avec la conception d'une pince à rondelles Belleville conçue par l'ingénieur René Grand, cofondateur de la Sacmi, qu'il quitta pour créer la SCMM, où il développa avec succès la pince et toute la mécanique débrayable pour Montaz Mautino.

La pince Montaz Mautino - SCMM ne possédait que deux axes d'articulation. L'effort exercé par les rondelles élastiques agissait directement sur le mors mobile et permettait d'assurer un coefficient de 3 au glissement dans une pente de 100 %.*

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Pince à rondelles SCMM (A&M, Archives Chin@ill)


Sous la supervision de l'ingénieur Roland Roc, qui dirigeait auparavant Transtélé (constructeur de télécabines PHB, et des remontées Doppelmayr pour la France dans les années 1970), Montaz Mautino installa son premier exemplaire de télécabine système SCMM en 1979 à Chamonix-Mont-Blanc sur les pentes de Planpraz, en réussissant l'exploit de conserver les imposants pylônes en béton du téléphérique 1928. Une ligne impressionnante par ses hauteurs de survol, sa pente et ses portées, qui nécessita l'emploi d'un câble de 42 mm (le record de l'époque) et la construction d'un imposant pylône chapeautant l'arrivée de l'ancien téléphérique. Le lancement des cabines était assuré par des pneus en combinaison avec une rampe inclinée.*

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Télécabine de Planpraz à Chamonix-Mont-Blanc, par Montaz Mautino (coll Laurent Berne)

 

Poma ou la télécabine automatique

En France, fin 1964, Applevage, désormais propriété de Fives-Lille-Cail se désengagea de la construction de remontées mécaniques à la suite de déboires financiers. Le pionnier du téléski Jean Pomagalski vit dans cet arrêt l'opportunité de récupérer des compétences pour se positionner sur le marché de la télécabine. Il pris contact avec l'ingénieur Roger Laurent qui associa également la SACMI (société qui exploitait ses brevets) et un bureau d'études d'ingénieurs issus d'Applevage, parmi lesquels M. Barachet, futur responsable "débrayables" chez Poma. Il associa au projet Paul Genin (fondateur de Sigma Plastique) et Francis Tauzin (ingénieur, directeur Sigma Plastique). Lors d'une réunion début 1965, Jean Pomagalski dressa aux trois protagonistes les premiers traits d’une cabine « pouvant accueillir quatre personnes ; originale, aérodynamique, légère mais robuste, et surtout, à petit prix », inspiré des coques que Sigma produisait déjà pour ses télésièges. Il chargea Francis Tauzin de concevoir la cabine et Roger Laurent de superviser la conception technique.

L'avancement du projet permis en août 1965 à la société Pomagalski de déposer le brevet de la pince S. Il s'agissait d'une attache débrayable où le serrage était effectué par deux ressorts emprisonnés dans un carter ; une biellette permettant l’ouverture du mors.

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Principe de la pince S (DP)


Parallèlement Francis Tauzin livra un prototype de cabine, dit SP3 de forme ovoïde, construit avec deux demi-coques en composite thermomoulé encapsulant un corps central fixe en métal supportant le plancher et les assises. Les demi-coques s’entrebâillaient en gare sous l’action d’un système à ressort*.

L'emploi de ces cabines fut inauguré sur la télécabine prototype de la Daille à Val-d’Isère (Savoie) mise en service en décembre 1966, mais la structure légère des cabines transmettait beaucoup de vibrations et la fermeture des portes restait manuelle.

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Télécabine de la Daille à Val-d'Isère (Savoie, France) par Poma (Poma)


Francis Tauzin et Jean Pomagalski réfléchirent donc à un mécanisme de fermeture automatique, ce qui donna naissance en février 1967 au levier vertical agissant sur un jeu de biellettes à genouillères. Des aérations furent rajoutées et la suspension revue. Ces cabines SP3 améliorées équipèrent directement les télécabines de Pierre-sur-Haute à Chalmazel (Loire) et de la Masse aux Ménuires (Savoie). Les cabines de la Daille furent également modifiées en conséquence.

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Télécabine de Pierre-sur-Haute à Chalmazel (Loire, France) par Poma (CD42, coll. Laurent Berne)


Ces équipements constituaient les premières télécabines automatiques au monde : plus besoin de personnel dédié pour assurer l'ouverture et la fermeture, ni la circulation à quai puisque le traînage était assuré soit gravitairement par rail incliné soit par des cordelines à olives.

La télécabine Poma à pinces S rencontra le succès en France jusqu'au début des années 1980 et permit à Poma décrocher de gros contrats internationaux à Dizin, en Iran, où l'entreprise construisit, à partir de 1969, trois télécabines, à Bovec en 1972 avec les trois sections de la télécabine du Kanin, et, l'année suivante, toujours en Slovénie, une télécabine au Krvavec, mais aussi la télécabine Higashidateyama à Goriu Tomi au Japon ou encore celle de Big Sky aux USA.


Les dimensionnements de la pince S permirent en outre à Poma d’inaugurer en décembre 1973 à la Cote 2000 à Villard-de-Lans la première télécabine à 6 places assises au monde, toujours à ouverture et fermeture automatiques.

 

Innovation, modularité et nouveaux marchés

Les années 1980 amorcèrent le retour en grâce de la pince à ressorts suivant le principe déjà employé par Carlevaro et Savio en 1949.

En 1983, Leitner se lança ainsi sur le marché des téléportés débrayables avec sa pince LA (Leitner Automatic) qui se distinguait par sa simplicité, reposant sur un nombre d’éléments réduit et une force de serrage procurée uniquement par un bras relié à deux ressorts. Cette pince permit à l’entreprise de réaliser en 1985 en Italie ses premières télécabines débrayables, Plan de Corones à Brunico et Plan Maison à Cervinia, ainsi qu’un télésiège débrayable à Obereggen.

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Pinces LA sur la télécabine de Plan Maison à Cervinia, Italie (Rodo Af)


Bien conçue et offrant des forces de serrage importantes, la pince Leitner LA fut employée par Leitner jusqu’à son rapprochement avec Poma et l’adoption de la pince LPA, qui en reprend les principales caractéristiques. Cette pince LA inspira aussi les principaux concurrents de l’époque (Poma, Doppelmayr, Garaventa) dans la conception de leurs propres pinces.


L’adoption de la pince à ressort permit l’obtention d’une force de serrage jusqu’à 12 tonnes, bien supérieure à ce qu’autorisaient par exemple les technologies employant la gravité. Dès lors, les constructeurs purent mettre en œuvre des dimensionnements de télécabines plus importants. Poma conçut ainsi une gamme de télécabine 10/12 places débout dont le premier exemplaire, la Patinoire, fut mis en service à la Clusaz dès 1984. Le constructeur inaugura également la première télécabine à 16 places debout en 1998 aux Angles (Pyrénées Orientales).

De la technologie de la télécabine découla celle du DMC (Double-MonoCâble), imaginée par l’inventif ingénieur français Denis Creissels. Le DMC se différencie de la télécabine par l’emploi de deux brins porteurs-tracteurs parallèles permettant des portées et survols importants et des capacités jusqu’à 30 personnes par cabine. Il fut mis en œuvre pour la première fois par Poma en 1984 au Pontillas à Serre-Chevalier, puis sur la ligne du Bettex à Saint-Gervais-les-Bains, en conservant les pylônes du précédant téléphérique à va-et-vient de 1936 !

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DMC du Pontillas à Serre-Chevalier (Hautes-Alpes, France) par Poma (Clément05)


Denis Creissels fit évoluer son DMC en réduisant la hauteur des suspentes et en écartant les deux brins de trois mètres pour garantir une stabilité au vent optimale. Il appliqua ce principe dès 1985 sur le « DMC à va-et-vient » Rocharbois à Megève et, le reconduisit sur une installation débrayable en 1990, sur la ligne du Péclet à Val Thorens, sous l’appellation DMC-Funitel, rapidement simplement nommée Funitel.

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(DMC-)Funitel du Péclet à Val Thorens (France) par Denis Creissels et REEL (Thomas)


Pour la petite histoire, Denis Creissels avait déjà appliqué ce principe d'installation double-monocâble à brins écartés en 1967 sur son téléscaphe, à Callelongue. Il s'agissait d'un étonnant téléphérique sous-marin plongeant dans une calanque de la Méditerranée à proximité de Marseille et dont les cabines étanches permettaient de découvrir les fonds marins. Le prototype n'ouvrit cependant qu'une année, mais reste immortalisé par de nombreuses photographies.

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(DMC-)Téléscaphe de Callelongue (France) par Denis Creissels (DR)


Par ailleurs, on le sait peu, mais un appareil débrayable à câbles espacés a cependant précédé celui de Val-Torens dans la station californienne de June Moutain. Conçu suivant un brevet de l'ingénieur d'origine polonaise Janek Kunczynski, à la tête de la société américaine Lift Engineering (Yan), cet équipement fût nommé le QMC, pour Quadri MonoCable, car chaque brin était composé d'un câble indépendant. L'appareil entra en service en mars 1988* après deux saisons de tests, mais fut arrêté dès 1996 du fait d'une mauvaise fiabilité, notamment de ses pinces, et démonté l'année suivante. Il fut l'unique QMC jamais construit.

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QMC de June Mountain, USA (photo Ryan B)


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Schéma de principe du QMC de Janek Kunczynski (DP)


Aujourd’hui, les télécabines modernes reçoivent généralement des cabines de 8 ou 10 places assises avec des vitesses de 6 m/s. Elles ne nécessitent plus la construction d'un bâtiment clos-couvert et emploient des gares dites modulaires, car reposant sur le même type que celles des télésièges débrayables. Cette modularité trouve son paroxysme avec l’emploi, sur une même ligne, de cabines et de sièges qui, par des zones d'embarquement et débarquement séparées, perfectionnent l’idée d’installations mixtes initiée par le suisse Ernst Constam dès le milieu des années 1940 sur des téléskis-télésièges fixes, et dans les années 1950 sur des lignes débrayables système Müller ou Von Roll. Nommé Combi, Télémix ou encore Télémixte selon le constructeur, le premier appareil moderne de ce type fut réalisé en 2002 par Doppelmayr à Maria Alm (Hochkönig) en Autriche.

Désormais, depuis les années 2000, la télécabine se décline également comme transport en commun en milieu urbain. En la matière, nombre d'agglomérations d'Amérique du Sud ont ouvert la voie et ont tissé de véritables réseaux de « metrocable », souvent en complément du métro historique, pour desservir des quartiers généralement au relief prononcé et densément construits. Parmi celles-ci, Medellín (Colombie) fait office de pionnière : Poma y mit en service dès 2004 le Metrocable ligne K, une première ligne de télécabine urbaine, depuis complétée par plusieurs autres.

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Metrocable ligne K, Medellín, Colombie (Rodo Af)


L'exemple le plus avancé en la matière reste à ce jour l'agglomération de La Paz en Bolivie où Dopplemayr a livré, entre 2014 et 2018, pas moins de 11 lignes de télécabines urbaines desservant 26 stations !

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Linéa Azul, El Alto, Bolivie (Rodo Af)

 

Chronologie


Note : nous listons ici une chronologie des étapes marquante de la télécabine (monocâble), y-compris les technologies dérivées (à savoir DMC, Funitel, TSCD). Les débrayables bicâbles sont répertoriés dans la rubrique relative à l'histoire des téléphériques.

  • 1949 : première télécabine débrayable monocâble (cabines biplaces fermées) au monde à Alagna (Italie) par Carlevaro & Savio ;

  • 1950 - décembre : télécabine de Médran à pinces gravitaires, à Verbier, première télécabine débrayable monocâble de Suisse, par Giovanola, avec cependant des cabines ouvertes qui firent fréquemment nommer cet équipement "télé-siège".

  • 1951 - mars : première télécabine débrayable monocâble de France : la Cote 2000 à Villard-de-Lans par Câbles & Monorails Mancini (sous licence Carlevaro & Savio) ;

  • 1951 - décembre : télécabine Cry d'Err - Bella Lui (Crans-Montana), par Oehler, première télécabine monocâble quadriplace de Suisse et première employant le système d'accroche du mégevan Georges Reussner ;

  • 1954 : télécabine Ried - Rosswald (Suisse), première télécabine monocâble à pinces à crémaillère, par Müller ;

  • 1956 : télécabine du Diable à l'Alpe de Vénosc (future station des Deux Alpes), par Neyret-Beylier inaugurant l'emploi de la pince gravitaire Goirand ;

  • 1956 : Skyway de Disneyland en Californie, à pince VR101, première télécabine débrayable monocâble du continent américain, par Von Roll.

  • 1958 : télécabine des Tovets à Courchevel, première télécabine à pince RYL, attache gravitaire conçue par l'ingénieur français Roger Laurent et construite par Sarrasola ;

  • 1966 - décembre : télécabine semi-automatique de la Daille à Val-d'Isère (Savoie - France), par Poma, inaugurant l'emploi des pinces S ;

  • 1967 - décembre : premières télécabines automatiques : Pierre-sur-Haute à Chalmazel (Loire - France) et la Masse aux Menuires (Savoie - France) par Poma - Modification de la Daille en télécabine automatique ;

  • 1973 : première télécabine 6 places assises : la Cote 2000 à Villard-de-Lans (France) par Poma ;

  • 1983 : pince à ressorts moderne modèle LA par Leitner ;

  • 1984 : premiers DMC : Le Pontillas à Serre-Chevalier (France), puis Le Bettex à Saint-Gervais-les-Bains (France), conçus par Denis Creissels et construits par Poma ;

  • 1984 : télécabine dix places debout de la Patinoire à la Clusaz (France) par Poma ;

  • 1988 : première installation débrayable monocâble à voie large : le QMC (Quad MonoCable) de Janek Kunczynski par Lift Engineering à June Mountain (US)* ;

  • 1990 : premier Funitel débrayable : Péclet à Val Thorens (France) conçu par Denis Creissels et construit par REEL ;

  • 1998 : première télécabine à 16 places debout : Les Pèlerins aux Angles dans les Pyrénées (France) par Poma ;

  • 2002 : premier téléporté avec sièges et cabines moderne à Maria Alm au Hochkönig (Autriche) par Doppelmayr.

 

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Dernière révision le 11/08/2023 - 21:41