Laurent Vanat - L'économie du ski


 

Bonjour Laurent Vanat et merci de nous accueillir à Genève. Pouvez-vous vous présenter rapidement pour nos membres et nos lecteurs ?

> À la base, je suis consultant en gestion d'entreprises généralistes et l'une de mes spécialités est d'aider les entreprises à faire des business plans. Quand j'ai commencé à faire des business plans pour les stations de ski, il y a une vingtaine d'années, je me suis rendu compte qu'il n'y avait pas de données de marché sur le secteur des domaines de ski. Il y a 20 ans en arrière on ne connaissait même pas le chiffre des journées/skieurs dans un pays comme la France ou la Suisse. Il n'y avait qu'aux États-Unis où les statistiques étaient claires. J'ai donc commencé à chercher et à reconstituer les données pour la Suisse, et lorsque j'ai eu suffisamment de données je les ai publiés. Ainsi, j'ai pu faire le bilan de saison Suisse 2004/2005 avec la fréquentation des stations. Ensuite, à la même époque, tous les pays alpins ont commencé à faire ce travail et à publier des statistiques de bilan de saison. Au fur et à mesure, j'ai eu des demandes pour rajouter d'autres pays comme le Japon, les USA, les pays Scandinaves...Le benchmark s'est élargi. Ainsi, j'ai pu publier en 2009 le premier rapport international qui au début couvrait une dizaine de pays. Petit à petit, il s'est étoffé au fil des conférences et je me suis challengé pour couvrir tous les pays du monde où il y avait des stations de ski, c'est-à-dire dans ma nomenclature au moins un tapis roulant et une piste avec de la neige. Finalement, j'ai atteint ce but il y a trois ans. Je diffuse ce rapport sur Internet et je cherche des pistes pour le rendre autoportant car il est très difficile de fixer un prix de vente. Pour cela, j'ai lancé un crowdfunding (cagnotte en ligne) il y a quatre ans, qui permet de soutenir financièrement le rapport et assurer sa pérennité.


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Vous parliez d'une station de ski comme étant une structure avec au moins un appareil. Dans le rapport, il nous semblait que le critère était à cinq remontées mécaniques pour être classé comme une station de ski ?

> J'ai deux gradations. Le tout-venant, qui est sitôt qu'il y a quelque chose d'organisé au niveau du ski. Cela peut se limiter à un tapis roulant avec un peu de neige. Dans certains pays, cela peut être encore plus rustique. Dans ce cas-là, on arrive à 6 000 lieux de pratique du ski. Comme vraie station disposant d'au moins cinq appareils, on tombe à 2 000 sites. Ce qui est intéressant est que si l'on prend les stations qui font plus de 1 million de journées/skieurs, on n'en a plus que 51.


Vous observez le marché du tourisme de la neige et de la montagne depuis de nombreuses années. Avez-vous un regard particulier sur le transport par câble et les remontées mécaniques ?

> C'est l'élément fondamental des stations de ski. Il y a quelques années en arrière, on mettait un peu trop l'accent dans les stations de ski sur les investissements en remontées mécaniques. Puis, on s'est dit, les gens ne viennent pas pour monter mais ils viennent pour descendre. Il y a donc eu un changement de focus. Je dirais que sur les 15 dernières années, on a beaucoup investi sur les travaux de pistes et l'enneigement artificiel. Les investissements en remontées mécaniques ont peut-être perdu un peu d'importance même si cela reste le point le plus important de l'industrie du ski.


Est-ce que vous observez des tendances sur les équipements en remontées mécaniques des stations de ski à travers le monde ?

> Oui, il y a des nuances. Je dirais que sur les marchés alpins les équipements ont atteint un niveau de maturité et il est difficile de faire mieux à part de rajouter des gadgets. On retrouve toutes les options - sièges chauffants, bulles - qui ne sont pas forcément économiquement des options très intéressantes sauf pour les grandes stations qui ont de l'argent à dépenser. On voit une différence assez importante entre l'Amérique du Nord et l'Europe. En Amérique du Nord, les installations sont toujours très simples, basiques et limitées à la fonctionnalité de transporter les skieurs en haut. On retrouve cette simplicité sur les pylônes avec très peu de galets. C'est tout juste aussi si on a des repose-pieds et parfois même des garde-corps. Avec leur phobie de la sécurité, cela m'étonne toujours de voir ces installations rudimentaires.


Cette année, il s'agit de la 11ème édition de votre rapport annuel sur le tourisme de neige et de montagne. En 11 ans, quelle évolution importante avez-vous perçu sur ce marché ?

> Quand j'ai commencé à faire des prévisions (car on m'en a demandé tout de suite), en voyant l'essor des nouvelles installations en Europe de l'Est et en Asie Centrale, j'avais pensé que ces marchés augmenteraient davantage. Je m'attendais à voir une augmentation d'environ 20 millions de journées/skieurs qui viendraient en partie de ces régions. À l'époque, il y avait des chiffres incroyables pour la Chine mais on ne savait pas vraiment comment cela allait évoluer. Ce que je vois aujourd'hui, c'est qu'en Chine, la croissance est devenue très concrète alors qu'en Europe de l'Est ou en Asie Centrale, même s'il y a quelques projets qui ont effectivement vu le jour, la fréquentation n'a pas pris l'ascenseur comme le laissait présager le démarrage.
C'est un constat que j'ai fait dans mon dernier rapport en indiquant que certains des projets que je mentionnais il y a quelques années n'ont finalement jamais vu le jour ou ont été construits de façon beaucoup plus limité comme le « Northern Caucasus Resorts » qui à l'époque devait être le plus gros projet d'investissement de stations de ski au monde. On le voit aussi en Azerbaïdjan où deux stations sont sorties de terre mais où la fréquentation n'est pas au rendez-vous. En Turquie, les stations sont maintenant bien équipées mais la fréquentation reste faible même s'il y a eu de l'engouement pour le ski avec les Universiades d'Erzurum en 2011.


« Le ski n'est pas mort » est la phrase qui accompagne la sortie de votre 11ème rapport annuel. C'est un contre-pied à une économie du ski qui est en crise depuis quelques années. Mais de quelle crise parle-t-on : des pratiquants, des exploitants de domaines skiables ou médiatiques... ?

> C'était surtout une réaction par rapport à cette idée trop souvent véhiculée par la presse de dire que « tout va mal dans les stations de ski ». On montre des photos de pistes sans neige en expliquant qu'avec le réchauffement climatique toute cette industrie est finie alors que cela fait deux ans qu'il y a une croissance de la fréquentation au niveau mondial. Je voulais en profiter pour lancer ce message. Surtout que même s'il y a des difficultés par endroit, on remarque que nous sommes toujours à un niveau assez élevé de fréquentation. La fréquentation mondiale n'a jamais baissé de 50 % ! Elle est toujours à un niveau relativement élevé. L'année 2017/18 est, d'ailleurs, la 4ème meilleure saison du siècle au niveau mondial. C'est tout de même pas mal.
Les problèmes des stations de ski, on ne peut cependant pas les nier. Il y a la question du réchauffement climatique qui est souvent exagérée car au niveau du ski c'est surtout un problème de saison chaotique. Le réchauffement en montagne en moyenne il est effectif mais il est surtout présent sur la saison d'été. Certains analystes montrent que les saisons de ski en nombre de jours d'ouverture ne diminuent pas. Et les hauts et bas de l'enneigement ont été là depuis 50 ans. On n'a pas de statistiques assez longues pour voir cela et on tire des conclusions sur dix ans. L'autre problème du ski, c'est la concurrence croissante des activités de loisirs qui n'existaient pas il y a 40 ans. Hors les stations de ski mais également dans les stations où se développent de nombreuses activités concurrentes du ski. Auparavant, les skieurs venaient une semaine dans une station de ski et ils apprenaient quelque que soient les conditions. Aujourd'hui, si au bout de deux heures les skieurs sont déçus, ils peuvent trouver d'autres activités ou attractions. Les stations ont d'ailleurs fortement développé l'offre à côté du ski. Le challenge pour l'industrie du ski est maintenant d'arriver à garder le nombre de skieurs, puis si possible de le faire progresser.


Pensez-vous que la fréquentation d'une station de ski soit liée à la qualité du parc de remontées mécaniques, aux nouveautés, aux options de confort des nouvelles installations ?
> Franchement non, jusqu'à une certaine limite. Ce que l'on voit est que si l'on installe un nouvel appareil dans une station vous faites venir peut-être quelques curieux de plus dans la saison, mais ce n'est pas cela qui augmente la fréquentation d'une station. Sauf si l'on fait un appareil de liaison comme Paradiski qui permet de vraiment augmenter la taille du domaine skiable et surtout sur le plan économique d'augmenter le prix du forfait.

Est-ce que ce n'est pas lié à l'exploitant qui ne se sert pas de la remontée mécanique comme d'un outil pour sa communication afin d'augmenter la renommée de sa station ?

> Évidemment que ce n'est pas mal d'en parler et cela doit faire partie du marketing de la station pour montrer que l'on se maintient. Les nouvelles remontées mécaniques sont finalement un mal nécessaire pour les stations. C'est un peu la théorie de l'hygiène motivation. Les remontées mécaniques sont un facteur d'hygiène. Si on n'a pas de remontées mécaniques performantes, les skieurs diront « cette station, c'est n'importe quoi » mais si on installe des remontées mécaniques performantes c'est normal et ce n'est pas cela qui fait augmenter la fréquentation. Je suis persuadé que la moitié des skieurs ne savent pas s'ils sont sur un télésiège fixe ou débrayable. Après, il y a le marketing des constructeurs de remontée mécanique qui vont essayer de vendre leurs produits avec toutes les options possibles aux exploitants.


L'économie du ski est basée sur de grands groupes intégrés, des acteurs locaux, des structures parapubliques, parfois des associations... Autant de diversité de gestion pour les domaines skiables. Quelle est la vraie tendance au niveau de la gouvernance des stations ? Y-a-t-il une particularité Française, Suisse, Nord-Américaine... ?

> La différence la plus marquée s'observe entre les États-Unis et le reste du monde. Aux États-Unis, il y a deux groupes qui émergent, Vail Resorts et Alterra Mountain Company, qui consolident des stations et achètent chaque année de nouvelles stations devenant des groupes de plus en plus gros. C'est une tendance qui a déjà été observée dans le passé avec American Skiing Company qui a fait faillite et avec IntraWest qui a été démantelé. Le business model aux États-Unis est différent. Vous remarquerez qu'à Vail le prix des forfaits peut aller jusqu'à 200 USD les jours de pointe. C'est une économie qui est plus rentable qu'en Europe, et cela permet d'attirer des grandes compagnies financières qui y trouvent des revenus intéressants.
En Europe, les prix sont beaucoup plus bas ce qui fait que les rendements des sociétés de remontées mécaniques sont de toute façon plus bas, et cela attire moins les financiers purs.
En Europe, hormis la Compagnie des Alpes, Skistar ou Tatry Mountain Resorts, on a beaucoup moins de groupes de grande taille. Après, on a des groupes plus familiaux. Mais si on regarde au-delà des grands groupes, on constate que la gestion des stations de ski est très familiale. Donc au niveau de la gouvernance, même si on a certains grands groupes qui sortent du peloton la majorité des stations est gérée comme une seule entreprise et non intégrée à un ensemble plus vaste. Même dans les nouveaux pays, comme en Chine, on n'a pas encore d'opérateurs importants qui gèrent plusieurs stations.
Pour la gouvernance des stations, il y a deux extrêmes. Il y a la station purement intégrée et dessinée sur une feuille blanche comme on en trouve en Amérique du Nord, mais évidemment elles ne sont pas toutes comme cela. Puis, il y a le modèle alpin où une station peut-être extrêmement atomisée entre de très nombreux acteurs (restaurants d'altitudes, écoles de ski, locations de matériels, opérateurs de logements...). Sur cet aspect, on constate peu de différence entre la France, la Suisse, l'Autriche et l'Italie, si ce n'est qu'en France, on a la problématique que les remontées mécaniques sont un service donné en délégation de service public. Cette délégation de service public est, d'ailleurs, un système qui arrive à ses limites.


En Suisse ou en Autriche, on constate depuis plusieurs saisons une nouvelle phase de connexions/liaisons entre des domaines skiables voisins (Saalbach-Hinterglemm/Zell am See, Lenzerheide/Arosa, Stuben/Zürs, Grimentz/Zinal...) ? Pensez-vous que cette tendance va se poursuivre ? Est-ce qu'en Amérique du Nord une logique similaire est possible ?

> C'est surtout l'Autriche qui a lancé une course à la connexion de domaines skiables. Auparavant, c'était la France qui avait le plus grand nombre de domaines skiables reliés et depuis deux ans c'est l'Autriche qui est passé devant. Effectivement en Autriche il y a encore des possibilités de liaisons. C'est la course au plus grand domaine skiable. En Amérique du Nord, des projets ont été évoqués depuis plusieurs années, en Utah notamment, mais cela ne semble pas se faire. On ne sent pas de coopération entre les opérateurs.


La Mongolie a construit sa première station de ski en 2009, l'Azerbaïdjan dans la dernière décade également. Des pays montagneux se lancent dans la construction de stations ex-nihilo. A qui s'adressent ces stations, pour quelles clientèles ? Peut-on arrimer la culture de la neige dans des pays qui découvrent les sports d'hiver ?

> Souvent pour débuter, les investisseurs ont d'abord demandé à des ingénieurs de faire des masterplans qui ont été réalisés en fonction de la configuration des lieux et en imaginant des fréquentations très importantes. Mais on n'a pas forcement réfléchi à la clientèle. Souvent, ces nouveaux pays pensent attirer 50 % de clientèle étrangère ! C'était le cas d'Almaty par exemple avec cette idée de fable imaginant des avions déverser des flots de skieurs. Évidemment, tout cela est faux, puisque mes études démontrent que le nombre de skieurs internationaux est très limité. Il n'y a que 15 millions de skieurs qui vont skier d'un pays vers un autre et la plupart de ces skieurs vont juste skier dans le pays voisin comme c'est le cas avec les Allemands qui se rendent en Autriche. Les flux longue distance sont très faibles. Cela fait 50 ans que le premier avion charter de skieurs des États-Unis vers l'Europe a été lancé. C'est donc quelque chose qui existe depuis longtemps et qui n'a jamais explosé. Le marché des touristes intercontinentaux de ski reste confidentiel. Donc, si une station de ski est créée au milieu de nulle part comme en Mongolie, il ne faut pas s'attendre à ce que des gens fassent cinq heures d'avion pour venir skier là-bas. En plus de cela, si on veut être compétitif et attirer des skieurs capables de faire ces cinq heures d'avion, il faut pouvoir construire une des meilleures stations au monde. Le problème est donc que ces nouveaux pays ont fait des stations de ski avant de se dire qu'il faudrait apprendre aux locaux à skier. La première clientèle doit être une clientèle de proximité. Si on n'arrive pas à apprendre à la population domestique à skier, alors le projet n'est pas viable.


Est-ce que vous croyez au développement international de ces nouveaux pays du ski ? Pensez-vous que des stations sur le modèle alpin comme l'on voit au Tyrol, en Tarentaise ou dans les Dolomites puissent voir le jour dans d'autres pays ?

> Il faut un bassin de population à proximité capable d'apprendre à skier, une culture hiver et neige, et des moyens financiers pour s'offrir une activité de loisir comme le ski. Les Alpes sont une exception. C'est très rare, voire impossible, d'avoir des montagnes avec 2 000 mètres de dénivelé à skier dans d'autres régions du monde à proximité de centres urbains important. En Chine, par exemple, la population, dans l'ensemble, a l'habitude de températures froides. En Inde, cela fait vingt ans que l'on entend parler du développement d'une grande station mais les Indiens n'ont aucune culture du froid. La station de Gulmarg reste une niche pour une clientèle étrangère. Pour répondre à la question, j'ai de la peine à identifier un endroit au monde qui aurait le même potentiel que les stations alpines.


Dans le top 50 des stations mondiales en matière de journées/skieurs, on trouve les majors alpines et nord-américaines et quelques stations que l'on qualifiera d'ovni comme les stations nord-américaines de Keystone (20 remontées mécaniques) ou de Breckenridge (34 remontées mécaniques). Comment ces deux stations arrivent à avoir un tel pouvoir d'attraction et à atteindre un million de journées/skieurs avec si peu de remontées mécaniques ?

> Ce n'est pas le nombre de remontée mécaniques qui fait la taille d'un domaine skiable ! Un faible nombre de remontées mécaniques peut ouvrir un espace skiable incroyable. S'il y a beaucoup de remontées mécaniques en Europe, et particulièrement en France, cela vient qu'historiquement il y avait des téléskis qui ont ensuite été remplacés par des téléportés. À l'époque, pour avoir un débit conséquent, on ajoutait en parallèle de nombreux appareils. Aujourd'hui, avec un masterplan efficace, une station de ski moderne peut atteindre le million de journée/skieurs avec seulement une vingtaine de remontées mécaniques. C'est vraiment une question d'optimisation du domaine skiable. On arrive à avoir du beau ski avec peu d'appareils comme à Nax en Suisse ou à Masella en Espagne.


Est-ce que le développement des stations de ski indoor est une vraie tendance émergente ? On voit notamment s'ouvrir des dômes dans des pays improbables (Égypte, EAU, Brésil ...). Quel est votre avis sur ce développement ?

> Le ski indoor a la chance que généralement il se développe à proximité de grandes agglomérations. Il s'adresse donc aux locaux. La question ne se pose donc pas de faire venir des skieurs internationaux sauf si vous avez envie de prendre l'avion pour aller à Dubaï, mais généralement on n'y va pas pour le ski. Ce type de station de ski est vertueux car cela permet à des populations proches qui n'ont pas forcément la possibilité de skier, de faire un premier essai. S'ils sont bien encadrés et ont une bonne première expérience, cela donnera le goût à ces nouveaux skieurs d'aller en station. Ce sont des structures qui sont tout bénéfice pour l'industrie du ski en général. Je vois également très bien le développement des simulateurs en salle sur une pente inclinable. Cela permet de faire des premières expériences de ski facilement sans avoir à s'habiller contre le froid. C'est idéal d'introduire ces outils dans des villes pour que les gens apprennent le B.A.-BA et aient une bonne première expérience du ski.


Pensez-vous qu'un constructeur de remontées mécaniques émergent puisse remettre en cause à long terme le duopole mondial Leitner-Poma/Doppelmayr-Garaventa ?

> Le duopole actuel est très fort et dispose d'une notoriété mondiale. Toutefois, on remarque l'émergence réelle de Bartholet qui livre chaque année davantage de remontées mécaniques. Mon angle d'analyse est le débrayable et je m'intéresse aux constructeurs capables de livrer des appareils de ce type. LST essaye.
Pendant un moment, on pensait que les Chinois n'étaient pas capables de s'implanter sur le marché du débrayable. Mais depuis quatre ou cinq ans, ils commencent sérieusement à livrer des appareils débrayables. Évidemment, on n'a pas un long historique sur ce type d'appareil mais pour moi qui les ai vus et utilisés, cela me semble devenir une concurrence sérieuse aux produits occidentaux. Il y a d'ailleurs des stations de ski en Chine qui sont équipées uniquement d'appareils du constructeur Chinois BMHRI. D'ailleurs, la plus grosse station du pays, Wanlong, celle qui fonctionne le mieux et pratique les prix les plus chers, est équipée pour l'instant uniquement d'appareils Chinois. En Chine, on a maintenant aussi un fabriquant de dameuses. En fait, il n'y a que le marché de l'enneigement pour lequel les équipementiers occidentaux conservent une forme de monopole.


Les installations à câbles – funiculaires, téléphériques à va-et-vient, téléphériques à mouvement continu et remonte-pente – peuvent être considérées – c'est le cas en Suisse - comme des monuments du patrimoine technique et historique. Comme l'on visite des châteaux, visitera-t-on demain des remontées mécaniques ?

> Oui et non. Disons qu'à cause des normes d'exploitation, on ne peut pas garder de vieilles remontées mécaniques en activité. On avait deux exemples en Suisse de télésièges à véhicules latéraux. Les exploitants voulaient les conserver mais légalement ils n'avaient plus le droit de les exploiter, car l'administration disait que ces appareils n'étaient plus aux normes. Donc, concrètement, on ne peut pas garder en exploitation, même si on le souhaite, des installations historiques. On peut néanmoins penser que des remontées mécaniques très particulières, comme le CaBrio ou certains funiculaires très raides comme à Stoos, peuvent avoir une fréquentation touristique en saison estivale, en devenant des attractions à part entière capables d'attirer des visiteurs pour les emprunter.


Les « ascenseurs valléens » vont-ils connaître un développement dans les prochaines années ? Ces équipements constituent un élément logistique fondamental pour contribuer à la mise en œuvre d'une politique de transport et de service de mobilité durable (Orelle, les Arcs, Peyragudes...). De nombreux projets sont encore en réflexion en France (Funiflaine, liaison Allemont et Oz-en-Oisans, Grenoble – Chamrousse...).

> Je pense que c'est positif et que cela s'inscrit dans le développement durable en permettant d'éviter de prendre sa voiture pour aller skier. Concrètement, le projet du Funiflaine couplé au futur train régional Léman Express (CEVA) permettra d'aller skier depuis Genève jusqu'au Grand Massif en mixant train et téléphérique. On vit cependant dans un monde très contradictoire. Les gens veulent ménager l'environnement mais quand ils sont en mode loisir ils ne pensent plus du tout à cela. Ils empruntent les transports en commun la semaine et ont le réflexe voiture le week-end. Toutefois, à long terme, on doit améliorer l'accessibilité aux domaines skiables via des équipements publics de transport collectif. Je pense qu'à court terme on ne verra pas de changement majeur, mais c'est une logique de long terme inévitable. En Suisse, beaucoup de stations sont connectées depuis longtemps avec le train mais ce n'est pas suffisamment mis en valeur et de fait cela reste sous-utilisé.


Vous connaissez bien le site remontées-mécaniques.net. En quoi ce site vous-est utile pour vos travaux ?

> J'apprécie le site car je n'ai pas la vocation de maintenir une base de données des remontées mécaniques station par station même si par la force des choses pour certains pays, je l'ai fait. J'ai une base de toutes les nouveautés livrées depuis 2000, ce qui me permet de voir le développement dans de nouveaux pays et d'identifier les projets qui se concrétisent. Pour les stations de ski européennes, américaines ou même de certains lieux plus exotiques, comme je n'ai pas systématiquement les données, je me connecte sur votre site. C'est toujours très utile de visualiser la qualité des infrastructures et des équipements de la station. Je dirais que j'y accède quand je rentre dans le niveau de détail de l'équipement d'une station.


Laurent Vanat, merci pour cet entretien.
Entretien réalisé le 31 mai 2019 à Genève.

Pour aller plus loin :
- L’accès direct au Rapport international sur le tourisme de neige et de montagne 2019.
- Le site internet de Laurent Vanat.

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Dernière révision le 01/05/2022 - 21:46