Les Hommes
Les pionniers
Les inventions sont le plus souvent liées à des inspirations créatives.
Les pionniers (qui peuvent aussi être des inventeurs) créeront des théories et des techniques, ils se fixeront des objectifs mettront toute leur énergie à les atteindre. Il leur faut, pour cela, outre leur orientation novatrice, de l'énergie, de l'astuce, du courage et de la ténacité. La création des engins de transports en montagne nécessitait toutes ces qualités. Il en est résulté des merveilles d'ingéniosité et d'audace.

Transport de charges au XVe siècle.

Poulie rustique en bois.
Mais, au "quatrocento" surgit une quintessence du génie inventif en la personne de Leonardo da Vinci, polytechnicien de l'art et des technologies. Au milieu des centaines d'études et inventions qu'il produit, on trouve un chapitre consacré à l'étude et à l'expérimentation de câbles métalliques. Certes, l'absence d'acier utilisable ne devait lui permettre que des réalisations en bronze n'apportant guère d'amélioration notable par rapport aux cordes en fibres naturelles. Cependant, la voie était tracée : pas de "téléphériques" sans câble métallique.
Pourtant, les pionniers continuaient leurs efforts, même avec leurs faibles moyens : Adam Wybe von Harlingen conçut et construisit en 1644 à Dantzig un premier transporteur monocâble à matériaux qui en fait un remarquable précurseur.

Crémaillère type Locher.
L'acier s'impose
Dès que cet alliage de fer et de carbone put être couramment obtenu et que l'on sut le manufacturer, des découvertes de principe ne vont pas manquer d'applications. C'est ainsi que l'utilisation de l'énergie de la vapeur a pu, de ce fait, générer la fabrication de locomotives et que, simultanément, la production et l'usinage des rails et, plus tard, des crémaillères.
La première machine, c'était celle de Blenkinson, équipée de roues dentées s'engrènant sur un rail "crémaillère" déjà expérimenté par Trevitik pour le Middleton Railway. Cette crémaillère se présentera alors sous diverses formes inventées par Eduard Locher, Viktor Strud, Roman Abt, Emor Rimber et Nikolaus Riggenbach qui en prendra le brevet en 1863. Mais le pionnier John Barraclough Fell n'avait évidemment pas pu profiter de cette invention lorsque, en 1866, il créa la ligne joignant Saint-Michel-de-Maurienne à Susa en passant par le col du mont-Cenis ! Il ne put qu'appliquer une invention du baron Seguier de roues horizontale s'appuyant sur un 3e rail : performance ahurissante !
Désormais, les pionniers vont aller de succès en succès : ce sera Sylvester Marsh, en 1869 au Mont Washington (USA), Le Rigi en 1873, puis le Pilatus en 1889 (en Suisse), etc... C'en est au point que, à Chamonix, non seulement on va construire, en 1902, le "tramway du Mont-Blanc", mais on commence, en outre, à projeter la ligne du Montenvers (voir dans le titre "les réalisations exemplaires").

Banc de fabrication de cordes.
En acier aussi...les câbles
Après Leonardo Da Vinci, d'autres se sont penchés sur le problème : comment toronner des fils d'acier pour en faire des câbles ? Y travaillent White and Hazard en 1816, Felten-Guilleaume en 1826, Franz Werner en 1834, Schreiber et Fischer en 1839, Aaron Bull, Isaac Mac Cord, James B.Stone, Anton Henschel...Mais le suédois Wilhelm August Julius Albert va plus loin et, dès 1834, construit à Klausthall une usine produisant des câbles d'acier de 500 m et plus.
Avec ce matériel, les inventeurs et pionniers voient s'ouvrir de nouveaux horizons et, partant du principe du "va-et-vient" déjà appliqué dans des réalisations bien antérieures (notamment dans le transporteur d'Adam Wybe - voir plus haut), ils vont pouvoir envisager de réaliser les funiculaires.

Funiculaire du Vésuve en 1881.

Téléphérique de Chamonix-Brévent
en 1928.
"Funiculus", la petite corde
Certes, les anciens avaient déjà projeté des réalisations basées sur le système "funiculaire" : ce sont, notamment Augustin Ramelli et Bonaluto Borini (voir plus haut). Mais l'apparition des câble en acier et, plus tard, les applications motrices de l'électricité vont fournir aux pionniers de nouvelles possibilités d'exercer leurs talents. Naissent ainsi, en 1862 et 63, les premiers funiculaires exploitables à Budapest (toujours en service en 2000) et à Lyon. Les créations se suivent dans les années 1870 en Turquie, en Angleterre, aux USA (Aaron Bell), en Suisse, en Italie où, notamment, Dall Ongaro en construit un au Vésuve. Les réalisations se multiplient dans le monde entier sous des signatures qui représentent généralement à la fois des pionniers et des constructeurs : Von Roll, Agudio, Heckel, Ceretti-Tanfani, etc...
Dès le début du XXe siècle, le développement du tourisme en montagne conforte l'opportunité de ces appareils et la naissance des "sports d'hiver" (dans les années 1920) multipliera les besoins. C'est alors que de nouveaux pionniers exploitent le système "funiculaire" en le simplifiant : ils suppriment les rails et équipent le (ou les) véhicule de patins leurs permettant de glisser simplement sur la neige : le "télétraîneau" vient de faire une entrée qui restera limitée dans l'espace et dans le temps. En effet le "débit" est très limité : le premier appareil connu de l'hôtelier Rhomberg ne transporte que 6 personnes sur une distance de 140 mètres ! Certes, plus tard (en 1938), Von Roll construira un appareil de 24 passagers mais, entre temps, d'autres technologies plus performantes auront vu le jour.
Ce sera d'abord le meunier Winterhalder de Schollach (en Forêt Noire) qui a l'idée de boucler le câble et lui donnant un mouvement continu et de remplacer le véhicule unique du télétraîneau par agrès tirant des luges individuelles multiples ou des skieurs (ce qui implique un câble qui ne soit plus au sol, mais porté par des pylônes équipés de poulies). Sans trop le savoir, il vient d'ouvrir la voie à l'invention des téléskis et on va donc en reparler sérieusement. Mais, entre-temps, le système "funiculaire" connaît un développement spécifiquement urbain avec la création du "cablecar" : les projets remontent à 1845 avec Charles Harvey mais c'est Andrew Smith Haliday qui, en 1872, crée le célèbre "cablecar" de San Francisco qui aura de nombreux descendants, non seulement en Amérique, mais aussi, entre autres, en Australie et Nouvelle Zélande.

Projet de cablecar en 1874.

Téléphérique militaire en 1917.
Les téléphériques
Comme pour d'autres familles d'appareils, l'apparition du câble en acier a impulsé la créativité de nombreux pionniers s'inspirant (plus ou moins !) des réalisations historiques du genre Adam Wybe. Les réalisations se sont assez rapidement multipliées de sorte que, à moins d'en énumérer un grand nombre, il vaut mieux ne citer que les plus marquants. On retiendra, en tous cas, le transporteur à matériaux construit par Agudio en 1866, engin associé au chantier de construction du tunnel du Fréjus. Agudio construira ensuite (en 1884) le "Superga" à Turin et maints autres ensuite. On ne peut omettre de mentionner Bleichert (le "Teutschenthal" en 1873), Pohlig, Torrès Y Quevedo, etc... Mais on doit une mention particulière au téléphérique du Wetterhorn, construit en 1908 par Feldmann pour une exploitation exclusivement touristique. C'est ce même Feldmann qui, en 1909, élaborera avec Strub le premier projet de l'Aiguille du Midi, à Chamonix (voir dans le titre "les réalisations exemplaires") suivi d'une première tranche de réalisation ("les Glaciers"), en 1909.
La guerre de 1914/18 arrêtera quelque peu les réalisations civiles mais verra proliférer des milliers de petits téléphériques militaires légers, principalement dans les Dolomites aux fins de ravitaillement et de transports divers pour les postes d'altitude.
Dès la fin de la guerre, la montée du tourisme s'affirme et suscite de belles réalisations . Cette notion nouvelle du tourisme explose littéralement lors de la naissance des "sports d'hiver". Les inventeurs et pionniers vont être progressivement intégrés dans des structures commerciales et industrielles de bureaux d'études et de constructeurs. Pourtant, les réalisations marquantes ne manquent pas, telle la construction par Heckel, du téléphérique de Rochebrune (Mégève) en 1933, premier appareil important conçu spécialement pour les skieurs. A Chamonix, le téléphérique des Glaciers atteint désormais "la Para" en 1924 alors qu'est construit par Rebuffel, en 1928 et 1930, ceux de "Planpraz-Brévent".
C'est aussi là que surgit un remarquable pionnier en la personne du comte Dino Lora Totino qui a en tête la liaison "Chamonix-Courmayeur" et reprend le projet "Aiguille du Midi" (sous une forme plus directe). Le téléphérique de ce nom ouvrira en 1955, il sera alors le plus haut d'Europe (3842 m). Il sera ensuite, relié au Col du Géant par une extraordinaire télécabine bicâble pulsée équipée, notamment, d'un étonnant pylône suspendu (voir dans le titre "les réalisations exemplaires").

Téléski Strela
à Davos en 1947
Les "tire-fesses"
Winterhalder a, comme on l'a vu, inventé un monte-pente qui va présager les futurs téléskis. Sur son appareil, quelques luges seront remplacées par des "agrès" permettant de remorquer des skieurs. Il faudra cependant encore beaucoup de temps (deux décennies) et, surtout, l'apparition des "sports d'hiver" pour qu'apparaisse la nécessité de déplacer des skieurs en grand nombre. Les crémaillères, funiculaires et téléphériques répondent mal à ce besoin du fait d'une capacité (un "débit") trop faible et d'un coût de construction (et d'exploitation) trop lourds.
La voie ouverte par le "téléluge" suscite, dans les années 1930, des réalisations plus ou moins bricolées jusqu'à ce que le suisse Ernst Constam construise, en 1934, à partir du brevet qu'il vient de déposer, le premier téléski (avec des "archets à enrouleurs") sur la pente de Bolgen à Davos (Suisse). Il est rapidement suivi par le français Jean Pomagalski qui invente le premier téléski "à perches" qu'il construit à l'Alpe d'Huez en 1936. Les téléskis des systèmes Constam et Pomagalski seront désormais en concurrence directe et se traduisant par des milliers d'appareils diffusés sur le monde entier : lesdits systèmes, améliorés sur de nombreux points, resteront d'actualité et ne paraissent pas prêts de disparaître.

Projet de télécabine bi-câble.
Les télésièges et télécabines
Dès la fin des années 1930, le potentiel des transports de montagne est donc le suivant :
- des chemins de fer à crémaillère, pour la plupart, anciens et mal adaptés au trafic "skieurs",
- des funiculaires qui pourraient être améliorés (voir plus loin),
- des téléskis en pleine expansion, bien adaptés mais au possibilités limitées.
On pense désormais à franchir des obstacles impossibles à surmonter par des téléskis, améliorer le confort des passagers et, (accessoirement, au moins au début), augmenter le débit des appareils.
C'est dans cet esprit que l'américain Harriman construit, en 1937, le premier télésiège monocâble (et monoplace) au Dollar Mountain dans l'Idaho. Auparavant, les pionniers savaient déjà que, au lieu de simplement tirer, on devait pouvoir aussi "porter" en remplaçant les "agrès" des téléskis par des sièges. Le deuxième conflit mondial (1939-45) stoppe les réalisations, mais, en 1945, des constructeurs proposent des téléskis transformables en télésièges monoplaces. L'idée est intéressante mais n'aura pas grand avenir, dépassée qu'elle sera par la montée définitive de la technique "télésiège". En effet, les pionniers d'antan se sont industrialisés et ne vont plus cesser de produire des appareils nouveaux et, progressivement, y apporter de nombreuses améliorations qui en accroissent les performances.
A ce niveau de développement, on ne peut plus guère que citer des hommes et des groupes désormais réputés comme constructeurs : Garaventa, Carlevaro, Graffer, Doppelmayr, Agudio, PHB (Pohlig-Heckel-Bleichert), Sämeli-Huber, Höltzl, Von Roll, Müller, Leitner, Habegger, Pomagalski, Montaz-Mautino, Girak, Swoboda, Cypher, Gangloff, Mancini, etc...
De nombreuses innovations apportent davantage de performances et de confort : coques rabattables de protection des passagers, systèmes de pylônes permettant des angles de ligne, tapis mobiles d'embarquement, systèmes "pulsés", etc... Mais l'innovation la plus importante et la plus efficace viendra du débrayage des sièges lors de l'embarquement. Cette possibilité résulte de l'invention de "pinces" débrayables de leur câble porteur-tracteur. Le plus souvent, les constructeurs (déjà cités) ont suscité dans leur propre entreprise, l'étude et la création de leur propre pince. Il faut préciser que de telles études sont issues du désir de créer des "télécabines", appareils dans lesquels les sièges sont remplacés par des cabines. Comme cette technologie a d'abord été considérée comme issue de celle des téléphériques, la plupart des premiers appareils étaient bi-câbles (un porteur + un tracteur) mais, ultérieurement, le principe monocâble s'est généralisé. Une mutation essentielle est due au français Denis Creissels : le DMC (double-mono-câble) dont le principe (voir dans le titre "les fonctionnements") génère une considérable amélioration d'exploitation. Le premier appareil de ce type voit le jour en 1984 à Serre-Chevalier. Il est suivi par d'autres (notamment, le Funitel, à Val-Thorens, à Verbier...).
Les "appareils d'antan n'ont pas dit leur dernier mot. De nouveaux funiculaires à hautes performances sont maintenant conçus et réalisés avec une durée et un coût de construction minorés par l'utilisation de l'engin dit "tunnelier". Il facilite le percement de souterrains et, partant, des nouvelles lignes "sous-glaciaires" (Saas-Fee, Deux-Alpes, etc...)
Dans le catalogue des appareils légers, on a vu apparaître des "lifts" divers, des tapis mouvant, des ascenseurs et autres engins divers.
On ne peut clore ce panorama succinct du monde des pionniers sans rendre hommage à tous ceux qui, dès les années 1920, au prix d'extraordinaires efforts, de courage, d'imagination, de persévérance et, parfois, d'esprit combatif, ont ainsi permis de construire le monde des remontée mécaniques.
Les concepteurs et aménageurs
Concevoir un «outil» va au-delà du simple rôle de l'inventeur. Il faut avoir en effet les compétences technologiques qui en permettent la réalisation. Si les réalisations très anciennes ont pu se contenter d'inventeurs ayant surtout des capacités de « bricolage », il n'en a plus été de même dès qu'elles acquirent un haut niveau de technicité et de complexité. C'est l'histoire de cette évolution que nous nous proposons de retracer.

Appareil funiculaire de Lorini.
C'est bien en ce sens qu'ils étaient déjà des «concepteurs». Ces «anciens», confrontés à ce type de problème et ayant compris qu'ils ne pouvaient le résoudre qu'en survolant l'obstacle, ont extrapolé l'usage qu'ils faisaient précédemment des lianes en pensant qu'ils pouvaient fabriquer des cordes. Ils venaient ainsi d'entrer dans la phase de «conception» qui se développa et amena à la construction de nacelles se déplaçant sur des cordes tendues au-dessus des obstacles (voir dans le titre : «la réponse aux besoins»).
Ce niveau de réflexion et les actions qui en résultèrent constituèrent les prémisses des «téléphériques».
Le grand « inventeur-concepteur » que fut Leonard de Vinci à qui l'ont doit, certes, les premier essais de câbles métalliques (voir dans le titre «les composants») semble pourtant muet sur les moyens de transports en montagne. Par contre, il faut noter (à défaut d'informations précises) l'existence d'autres concepteurs de diverses réalisations qui, durant les13e, 14e, 15e et 16e siècles, ont été décrites par Gwakyin Hokusai, Konrad Kyner, Johannès Hartlieb, Faustus Verantius et d'autres (voir dans le titre «les chronologies»). Dans ce contexte un peu brumeux, on remarque un projet mieux connu de Buonaluto Lorini en 1580 (une sorte de funiculaire). Mais on n'hésitera pas à citer comme premier véritable «modèle» de concepteur, le hollandais Adam Wybe von Harlingen dont le remarquable transporteur de matériaux de Dantzig (en 1644) est tout à fait prémonitoire (voir dans le titre «les réalisations exemplaires»). Il faudra ensuite attendre jusqu'au XIXe siècle pour retrouver des concepteurs dont la chronologie et les réalisations soient indiscutables.

Projet de Robinson et Hodgson en 1869.

Le remonte-pente de Winterhalder en 1908

Tracteur de perche en Allemagne

Téléski "bricolé" en 1934

"Pince" de téléski artisanale en 1937
Le rôle du concepteur est complet car il consiste, en effet, à apporter à un projet innovateur l'ensemble des éléments propres à le réaliser : principe, méthodes de construction, outils de fabrication, voire même, programmation. On peut alors se demander comment, dans l'antiquité, les concepteurs pouvaient remplir valablement ce rôle. En effet, il ne disposaient que d'éléments d'information très fragmentaires : pas ou peu de documentation technique, méthodes de calculs rudimentaires (malgré tout ce que l'on a pu dire de la science mathématiques des Egyptiens, par exemple), résultats d'expérimentations très rares, matériaux inadéquats, main d'œuvre incompétente...
Cependant, de tels rôles ont incontestablement été remplis par de nombreux anonymes et, plus tard, par des personnalités mieux connues, telles que Augustus Julius Albert qui, en 1802, conçoit et fabrique les premiers câbles en acier, puis par Blenkinson, en 1812 et Riggenbach en 1863 qui conçoivent et appliquent les crémaillères aux chemins de fer de montagne,

Projet de téléphérique Von Dücker en 1869.
Dès lors, le nombre d'innovations va s'accroître au rythme de l'avancée des progrès technologiques. Ce sont, notamment, Rhomberg et Rosh (ainsi que Graffer) avec le «télé-traîneau» (en 1908), et Winterhalder, en 1909, avec sa « remontée pour lugeur et skieur », ces réalisations générant plus tard (dans les années 1930) l'invention des téléskis. C'est le moment où des bricoleurs «de génie» vont concevoir ce que les usagers nommeront très vite des «tire-fesses». On en voit les premiers exemples dans les années 1930 en France au col de Porte (œuvres de Bravat, puis Rossat) et au Mont-Pilat (dans le Forez). La lignée des choses sérieuses commence en 1934 avec le «téléski à enrouleurs» du Suisse Constam à Davos, ainsi qu'en France, dès 1935, avec des pionniers comme le PLM, Gabriel Julliard et , dès 1936, le «téléski à perches» du français Pomagalski à l'Alpe d'Huez. C'est là un exemple de véritable transition entre ce que nous avons appelé le «bricolage» et la conception pure. C'est aussi l'introduction vers l'industrialisation puisque ces engins seront, durant les décennies suivantes, construits à des milliers d'exemplaires..
Dans les mêmes temps, téléphériques et funiculaires ont connu des perfectionnements techniques certains qui n'ont cependant pas fait apparaître des noms de concepteurs significatifs. Par contre, aux USA, certains ont travaillé sur les téléskis suisses de Constam et français de Pomagalski (qu'ils nomment «J-bars» pour les archets monoplaces, et «T-bars» pour les archets biplaces) afin de les transformer en appareils «téléportés». C'est donc aux USA, qu'un certain Averell Harriman construit, en 1936, le premier «télésiège». En Europe, on se contente de transformer, pour les exploiter en été, quelques téléskis en remplaçant des suspentes par des sièges monoplaces.
C'est l'époque où les «sports d'hiver» sont en pleine expansion et provoquent ainsi le début de l'industrialisation de la construction des appareils maintenant baptisés «remontées mécaniques». Les concepteurs, confrontés à une complexité croissante des technologies correspondantes, vont devoir, soit constituer des bureaux d'études à compétences plus étendues, soit s'intégrer dans des structures d'études et de projets intégrées aux constructeurs. Ce dispositif sera encore plus évident lorsque, après le conflit mondial de 1939/45, on assistera à une croissance encore plus importante des besoins en appareils nouveaux.
Ces tendances se concrétisent par l'expansion de la construction des télésièges avec des principes et des composants issus des prototypes précédents, puis améliorés par nombre d'éléments innovateurs désormais conçus dans les bureaux spécialisés. Parmi eux, la conception de la «pince débrayable» (notamment par Carlevaro), aboutira à la création des télécabines et, par extension, des télésièges débrayables. Dans ce cadre, l'ingénieur français Denis Creissels apportera une très importante amélioration en concevant la technologie «DMC» (double-mono-câble - voir dans le titre «les fonctionnements») dont le premier exemplaire sera construit à Serre-Chevalier, en 1984 et qui sera encore perfectionné dans la formule ultérieure du «Funitel».
Les bureaux d'études et les constructeurs ne se limitent pas à rechercher de multiples perfectionnements pour les appareils traditionnels mais créent aussi des engins nouveaux adaptées à de nouvelles pratiques des «vacances de neige» (ascenseur, tapis... ainsi que des «télécordes» considérablement améliorés par rapport aux «mange-mitaines» de jadis)...). En outre, ils élaborent de très ambitieuses réalisations de funiculaires grâce aux outils extraordinaires que sont les «tunneliers». On peut dire que, maintenant, la tâche des concepteurs est grandement facilitée par l'énorme quantité des informations acquises, le perfectionnement des formules de calcul et, surtout, les possibilités de l'informatique avec, entre autres, la banalisation des simulations.
Si la porte reste grande ouverte pour les conceptions d'appareils révolutionnaires, on peut penser qu'elles seront désormais et de plus en plus, l'apanage d'entreprises hautement spécialisées et non plus d'individus géniaux cogitant en haut de leur tour d'ivoire.

Le pionnier Jean Pomagalski

L'ingénieur Denis Creissels

Un utopique "catérail" américain de 1936.
Constructeurs et exploitants
Construire est l'aboutissement logique de la créativité. Jusqu'au XIXe siècle les constructions de transports de montagne étaient le plus souvent du ressort de concepteurs « amateurs » qui les réalisaient à base d'astuces diverses, bien souvent sans lendemains. Le tourisme d'abord, puis le développement rapide du ski ensuite, firent apparaître des besoins accrus, les concepteurs donnèrent naissance ou firent alliance avec des constructeurs industrialisés en même temps que l'exploitation des réalisations étaient assumée par des spécialistes.

Téléphérique rustique en 1854.
Mais, simultanément, l'évolution des besoins a accru les nécessités de la vie courante et ce fut particulièrement le cas des populations vivant en montagne dès qu'elles durent s'y déplacer. L'imagination et l'astuce des autochtones exploitèrent les moyens disponibles pour concevoir des installations rustiques permettant, entre autres, de franchir les obstacles spécifiques à l'environnement montagnard. C'est ainsi que naquirent les premiers «téléphériques» (voir dans le titre «les réponses aux besoins»)

Projet de transporteur aérien en 1871.

Locomotive du chemin de fer
à crémaillère du Mont washington
en 1869.
La découverte des métaux et l'acquisition de leur maîtrise apporta des possibilités certes d'abord modestes avec le fer brut et le bronze. Bientôt (XIXe siècle) le développement des aciers permit l'invention des câbles (voir dans le titre «les composants») et généra des méthodes d'usinage indispensables. Ainsi devait-on aboutir non seulement à la création d'outils, mais aussi à des réalisations beaucoup plus complexes telles que les voies ferrées, avec leurs machines et véhicules, les téléphériques et les funiculaires. Les constructeurs des chemins de fer à crémaillère étaient la plupart du temps des entreprises déjà bien industrialisées car elles étaient souvent les mêmes que pour les réseaux de plaine très largement plus ambitieux que les réalisations ponctuelles de téléphériques et funiculaires. De même, leurs exploitants étaient le plus souvent des organismes d'Etat ou de région.

Projet de téléphérage.

Projet utopique de Chandler en 1885.

Chantier de téléphérique militaire dans
le Tyrol en 1917.

Un téléski "bricolé".
Dès lors, les besoins spécifiques se développèrent à une cadence correspondante puisqu'il fallait de plus en plus « monter » des usagers vers des sommets. Les moyens déjà existants (chemins de fer à crémaillère, funiculaires, téléphériques) apparurent vite comme insuffisants, ce qui déclencha une multiplication de chercheurs allant du rêveur utopiste au pseudo-technicien. A ce niveau, on restait encore dans l'abstraction sauf dans le cas des bricoleurs plus ou moins géniaux qui, avec les moyens du bord, réussirent des constructions d'appareils souvent éphémères. Ce fut, par exemple, le cas des funi-luges comme celui de Winterhalder (voir dans le titre «les réalisations exemplaires»). Ces mêmes concepteurs-constructeurs assumaient également le plus souvent les charges d'exploitation, soit par manque de structures adaptées, soit qu'ils souhaitassent ainsi mieux connaître les performances de leurs appareils et en extraire la possibilité de les perfectionner.
La guerre de 1914-18 interrompit cette évolution mais d'ingénieux militaires pourtant non spécialisés construisirent, notamment dans les Dolomites, des milliers de téléphériques légers avec des moyens très rudimentaires mais néanmoins efficaces.
Redevenus civils, les concepteurs s'attaquèrent aux télé-traîneaux , puis aux téléskis. Leur astuce les engagea à employer au maximum ce qu'ils avaient « sous la main », tels des éléments et pièces récupérées sur d'autres machines (agricoles, automobiles et autres). Là encore, le fait qu'ils assumaient eux-mêmes le fonctionnement de leurs appareils leur permit de les faire évoluer, d'abord pour éviter de trop fréquents incidents mécaniques, puis pour trouver des perfectionnements productifs.
Le rapide développement des «sports d'hiver» dans les années 1920-30 suscitent le développement d'ateliers plus ou moins industrialisés créés par des pionniers de la profession. Citons entre autres, Feldmann, Bleichert, Ceretti-Tanfani, Von Roll, Bell et quelques autres de moindre renommée.
Parmi les utopistes des premiers temps, Constam en Suisse et Pomagalski en France déposent, dans les années 1930, des demandes de brevets pour des téléskis. La réussite de leurs constructions aura un impact qui va rapidement faire d'eux des constructeurs et industriels majeurs de la profession.
Le conflit mondial de 1939-45 crée un nouveau hiatus au développement des constructions de «remontées mécaniques» (c'est désormais le nom générique des appareils de transport de montagne) mais n'interrompt pas les études de sorte que, dès le début des années 1950, on assiste à une course à l'innovation. Les constructeurs déjà bien implantés se développent tandis que d'autres se lancent sur ce nouveau marché.
Le développement induit des techniques complètes et complique les tâches des constructeurs. Il leur faut maintenant étendre le champ opérationnel de beaucoup de leurs services (études, fabrication, transport, montage), ce qui implique, soit une augmentation et une spécialisation plus poussée des effectifs, soit un recours plus étendu à la sous-traitance. De telles contraintes entraînent, pour certaines entreprises, leur disparition, leur transformation, leur regroupement...Par exemple : Applevage, Baco, Mancini, Neyret-Beylier, Funk, Montaz-Mautino, Julliard, SACMI, Monziès, Seyrig, CUIA, Küpfer, Montagner, Weber, Hölzl, Habegger, Waagner-Biro, Garaventa, Heckel, Müller... Mais, dans le même temps, d'autres grandissent (comme Von Roll, Pomagalski, Doppelmayr, Leitner...) et dominent le marché international.

A production industriellle,
monteur spécialisé.

Montage d'éléments lourds.
Sauf de rares exceptions les constructeurs actuels ont cessé d'exploiter eux-mêmes les appareils qu'ils ont conçus et produits. Les exploitants de ces appareils doivent donc assumer des rôles complexes, non seulement sur le plan technique (compte-tenu de la sophistication croissante des appareils), mais aussi sur des plans administratifs, sociaux (personnels partiellement saisonniers), commerciaux (dureté de la concurrence) et financiers (investissements et coûts de maintenance souvent prohibitifs). En outre, ils doivent la plupart du temps gérer également les pistes et les installations de production de neige de culture et, dans tous ces domaines, assurer une fiabilité et une sécurité maximales. Enfin, quels que soient leurs statuts, ils sont souvent confrontés à des durées contractuelles de concessions qui compliquent souvent les programmations à long terme.
Le siècle (XXIe) débute avec une relative stabilisation du marché mondial de la construction de remontées mécaniques. Cette situation peut n'être que transitoire mais elle ne justifie pas une course des entreprises au gigantisme et, de ce fait, on peut espérer la persistance d'une situation concurrentielle raisonnable entre constructeurs de plus en plus qualifiés.

Télésiège en exploitation soutenue.
Les partenaires

La concertation comme élément du partenariat.
Quelles que soient les activités , et a fortiori, lorsqu'elles impliquent des services rétribués par une clientèle, les entreprises se doivent de répondre à des critères de qualité (aptitude à satisfaire les besoins de l'utilisateur) et de fiabilité (persistance de la qualité). Pour atteindre ces objectifs et dans le cas typique d'une station touristique où les «acteurs» sont nombreux et à rôles diversement complémentaires, de bons résultats ne peuvent être aisément obtenus que dans le cadre d'un partenariat permanent librement consenti.
Sur le principe, un «partenaire» est partie prenante d'une gestion générale, soit en y étant associé d'une façon contractuelle, soit en y participant de diverses manières.
Il peut se contenter de déléguer des pouvoirs à un animateur désigné par consensus ; il peut participer à des concertations d'organisations ; il peut être un acteur momentané ou non dans le cadre d'actions communes ; il peut enfin apporter son aide financière ou matérielle à diverses opérations d'intérêt commun.
Dans tous les cas, il importe que la coopération du partenaire soit comprise et consentie même si cela lui coûte : la notion de «partenariat» implique la priorité de l'intérêt général par rapport aux intérêts individuels.
Dans une station de ski co-existent de nombreux acteurs ayant des rôles qui s'intègrent nécessairement dans la gestion générale de sorte que chacun d'eux doit assumer une part de responsabilité dans la réussite globale. Ces parts sont parfois très inégales suivant les rôles mais la moindre «fausse note» de l'un d'eux peut avoir des conséquences pour l'ensemble. Il importe donc que soit créée et entretenue une unité d'objectif et de comportement entre tous.
Les divers acteurs concernés par la création et l'exploitation d'une station de ski sont :

Déjà en 1902, des partenaires.
- les organismes « institutionnels » tels que conseils généraux et chambres professionnelles,
- les administrations et services spécifiques tels que Directions départementales de l'équipement...
- les services hospitaliers régionaux,
- les banques et autres institution financières...
- les services généraux de sécurité : pompiers, SAMU, Sécurité civile, PGHM...
- les organismes de voyage...
- les fédérations sportives spécifiques...
- les «clients».

Les services associés
- le maire et son équipe municipale,
- les services locaux permanents (gendarmerie, pompiers, services postaux, transports locaux, services sanitaires, écoles, eau, électricité, etc...) ,
- les services liés à l'habitat,
- les commerces de base (alimentation, pharmacie, etc...),
- les services liés à l'activité spécifique (remontées mécaniques, pistes, office de tourisme, écoles de ski, commerces spécialisés, etc...).

Constructeurs et exploitants
des remontées mécaniques.

Les gens du pays participent.

Les clients
Dans le cadre précis de ces services de remontées mécaniques, un autre partenariat doit également se constituer entre constructeurs et exploitants afin de permettre un traitement efficace des incidents de fonctionnement. De même, les administrations concernées (organismes de contrôle du ministère de tutelle) sont des partenaires efficaces pour le contrôle de la conformité des appareils et de leur sécurité.
Bien entendu, les écoles de ski sont des partenaires incontournables, notamment en ce qui concerne les relations avec la clientèle.
Sur un plan plus élargi, beaucoup d'autres services extérieurs à la station peuvent représenter des partenaires importants. On peut citer, entre autres, les transports «basiques» (trains, autocars...) les services périphériques (entretien des routes, hôpitaux...), les organismes commerciaux (agence de tourisme...), les médias....

Les écoles de ski.
Les habitants permanents de la station sont partagés entre autochtones et implantés. Ceux d'entre eux qui ont un emploi dans les services de la station (ou qui y possèdent un commerce) sont directement associés au fonctionnement général mais les autres ont aussi des retombées directes ou indirectes du résultat général.
Certes, tous s'intègrent dans le partenariat global par le canal de leurs élus mais il peut être souvent souhaitable d'étendre leur représentation à l'intérieur du consensus général. Une de leurs traductions s'exprime dans les clubs sportifs locaux dont la coopération est le plus souvent indispensable au fonctionnement de la station, notamment dans le cadre des compétitions.
Les clients de la station ou, plutôt, l'appellation générique «le client» est un partenaire essentiel, donc obligatoire. C'est en effet, de sa présence, de sa fidélité , de son jugement que résultera la réussite générale. De ce fait, s'Il est difficile, voire peu souhaitable, de l'intégrer dans des concertations de fonctionnement, il est, par contre, essentiel de subodorer ses points de vue.
La nécessité d'un partenariat harmonieux a toujours été confirmée par des réussites évidentes. Lorsque tous les acteurs « marchent dans le même sens », ils vont toujours plus loin et plus vite.