Verbier au temps du sport d'hiver
« Le village n'est qu'une étape, car il faut monter encore. Mais la route est belle. On s'engage dans un de ces replis où roule un grondement d'eau, faible à force d'être enfoncé sous la neige et la glace. L'air devient plus vif. Le sommet d'une croix nous apparaît brusquement... et voilà le « Plateau » : inattendu, lumineux, vaste et combien accueillant. Partout des chalets. Points noirs, bruns ou à peine jaunis (selon leur âge), sur l'immensité neigeuse. Comme on se sent chez soi dans ce coin peu sauvage, où tout est humblement arrangé : la route jusqu'à Mondzeu, les lignes de jeunes arbres qui la bordent, les gracieux hôtels qui n'ont rien sacrifié aux «murs de pierres», les chemins à flanc de pente qui permettent aux piétons d'atteindre les chalets sans « brasser » la neige, les pistes de descente aussi diverses que sont divers les talents des skieurs. Pas de faux-semblant, rien de « snob » dans cette station charmante entre toutes.
Montée par Prafleuri, descente sur Cleuson; montée par Cleuson, descente sur la cabane Mt-Fort et retour par Tortin ou descente jusqu'à Verbier et retour par la Croix de Cœur; montée par la Croix de Cœur, descente sur Verbier, remontée vers la cabane Mt-Fort et descente sur Tortin ou Cleuson, tels sont les nouvelles possibilités de ski désormais accessible par le télésiège de Médran ! »
Au fond du village de Verbier, derrière les premiers sapins, nous apercevons une station.
(Collection Julien Beaud - DR)
La gare aval sous son manteau de neige. Un cabanon utilisé pour le rangement est bâti à l'avant du garage.
(Collection Julien Beaud - DR)
La neige recouvre tout et les traces encerclent un petit chalet de bois faisant office de départ.
(Commune de Bagnes - DR Darbellay Martigny)
Une télécabine, de la neige et un harmonieux village au cœur de la montagne.
(Commune de Bagnes - DR Gyger & Klopfenstein Adelboden)
Vue depuis les premiers sapins enfarinés.
(Commune de Bagnes - DR Darbellay Martigny)
On recule et pénètre dans la forêt blanche.
(Commune de Bagnes - DR Darbellay Martigny)
La cabine suit le chemin, indéfectible et étrangère à cette nature sauvage.
(DR)
La ligne peu après le passage sous le troisième pylône de compression.
(DR Téléverbier SA)
Ici, une cabine sur la pente maximale de 78 pour cent.
(DR)
Le pylône n°22 (numéroté comme étant le dixième) sonne le glas du passage à travers la forêt.
(Commune de Bagnes - DR Gyger & Klopfenstein Adelboden)
La suite de la ligne et le plateau.
(DR)
Nous croisons des voyageurs montant aux Ruinettes.
(DR)
Le voyage continue au-dessus de l'Alpage du Vacheret.
(DR Max-Francis Chiffelle, Médiathèque Valais - Martigny)
Les cabines dansant continuellement et s'élançant au-delà des monts.
(DR Max-Francis Chiffelle, Médiathèque Valais - Martigny)
Passager perdu continuant seul son voyage devant le Col des Mines et la tête des Établons.
(Collection Julien Beaud - DR)
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Une benne solitaire et en arrière-plan les Grands Plans et la Pierre à Voir.
(DR Téléverbier SA)
Quelques instants plus tard, d'autres sièges apparaissent et disparaissent.
(DR Téléverbier SA)
Plus à droite, le village bien développé se présente dans ce Colisée de montagne.
(DR Téléverbier SA)
Croisement sur fond des hauteurs de Bruson.
(DR Téléverbier SA)
Les dernières croix de métal nous emmènent bientôt au point culminant du télésiège.
(DR Téléverbier SA)
Les drapeaux valaisans et helvétiques témoignent de l'arrivée prochaine.
(DR)
La fin de la ligne avec à l'arrivée le restaurant "Les Ruinettes".
(DR)
L'ascension continue des bennes dans un paysage hivernal.
(Collection Julien Beaud - DR Darbellay Martigny)
Vue rapprochée sur la cinquante-sixième cabine.
(DR Intermezzo)
La station d'arrivée au pied du Mont Rogneux et des Attelas.
(DR)
La fin de la ligne depuis le ralentisseur.
(DR Téléverbier SA)
Dès les débuts de la société, les ambitions d'équipement du domaine skiable sont à la hauteur de l'extraordinaire potentiel de la région. Avant l'arrivée du câble, les vallons de la Grande Journée, le col des Gentianes, les pentes de Savoleyre et de la Chaux ont tous été tracés à peaux de phoque par l'officier alpin Rodolphe Tissières.
Ils sont déjà conquis ... sur le papier ! Mais les moyens techniques de cette conquête restent encore à inventer. C'est là qu'intervient Jean Casanova, ce mécanicien doué, dont le sens pratique donnera de sérieux coups de main aux constructeurs.
Impassibles à toute vie et semblant toutefois attendre la venue de l'homme et de son métal, les vastes champs de neige vierge de toute imprégnation, là où le silence absolu et éternel règne en maître depuis tant d'années, se laissent longuement contempler et pénétrer. Il faudrait un poète pour décrire le charme incomparable où tout, le doux parfum de l'air, les courbes attirantes, la survivance des charmes de l'hiver dans une atmosphère qui chante le printemps, voudrait nous retenir là-haut.
Les Ruinettes, son restaurant et sa télécabine.
(Commune de Bagnes - DR Darbellay Martigny)
Plan rapproché. La gare se présente parfois enterrée sous un amas de neige.
(Commune de Bagnes - DR Gyger & Klopfenstein Adelboden)
Le bâtiment dans sa globalité.
(Commune de Bagnes - DR Gyger & Klopfenstein Adelboden)
En arrière-plan, le col de Médran se trouve encore vierge de toute installation.
(Commune de Bagnes - DR Perrochet Lausanne)
La longue gare vue de profil.
(Collection Julien Beaud - DR)
Vue en amont depuis les pistes.
(Collection Julien Beaud - DR)
La face nord au complet.
(Collection Julien Beaud - DR)
Bientôt, le succès croissant de la télécabine de Médran incitera le développement du jeune domaine skiable. Le Rhône, journal valaisan d'informations paraissant le mardi et le vendredi, rapporte le 8 mai 1951 la décision du Comité de direction du Télésiège de Médran d'installer pour la Pentecôte un téléski près de la station supérieure du télésiège de Médran. Sa longueur sera de 300 mètres, avec une dénivellation de 120 mètres pour un débit de 180 personnes par heure.
Afin de mener à bien cette mission, la Société du Télésiège SA mandate une seconde fois la manufacture Giovanola pour l'installation de cette nouvelle remontée à câble au- dessus des Ruinettes.
Cette même année, Marc Dumur rencontra Jean Pomagalski à l'occasion de l'aménagement du domaine skiable de Thollon. Giovanola maîtrisant déjà l'emploi des pylônes tubulaires, Poma récupéra la technique pour l'employer sur ses téléskis. De son côté le constructeur helvétique prit une licence pour l'emploi du système Poma sur le marché suisse.
C'est tout naturellement ce modèle de remonte-pente qui est bâti pour la première fois au sud du point d'arrivée de la télécabine de Médran afin d'acheminer les amoureux de la glisse depuis Darbey jusqu'à la Tête des Ruinettes, ouvrant parallèlement la voie aux futurs projets de la vallée.
La mise en marche officielle aura lieu le 11 novembre 1951 et, pour cette occasion, le prix de la montée sera réduit à 0.20 francs. Les tarifs seront toutefois séparés entre le télésiège et le téléski :
TARIF Télésiège : Tarif d'hiver ( pour membres CAS et ski-club ) , la montée 2 francs
TARIF Téléski : 1 montée 0.50 franc ; 5 montées 2 francs ; 10 montées 3 francs ; 20 montées 5 francs
La combe de Médran en 1951 avec ses vastes champs de neige.
(DR Téléverbier SA)
Les Ruinettes et son large champ de vue donnant sur le Val de Bagnes.
(DR)
La station des Ruinettes au-devant du Col de Médran.
À droite de la télécabine se place le discret téléski des Ruinettes.
(DR)
Point de vue depuis le haut des pistes.
(Commune de Bagnes - DR Darbellay Martigny)
On se rapproche de quelques mètres.
(Collection Julien Beaud - DR)
La station des Ruinettes face à la Pierre à Voir.
(Commune de Bagnes - DR Darbellay Martigny)
Cadre depuis l'amont.
(DR Téléverbier SA)
Nous continuons en direction de la piste menant au téléski et admirons les deux cabanons accompagnés, en fond, des Alpes Vaudoises.
(Collection Julien Beaud - DR)
Reprenant le brevet de Poma, Giovanola équipe les hauteurs des Ruinettes d'un téléski débrayable Poma type B, avec gare Baby thermique haubanée et ouvrages de ligne à trépied. De par la construction légère, l'ensemble s'installe rapidement sans fondations; les perches, comme désormais classiquement, emploient l'attache à douille inventée par Poma en 1944.
Ce modèle B fut mis au point par Pierre Montaz, alors monteur chez Poma et qui fondera peu de temps après Montaz-Mautino avec son associé Victor Mautino.
Les curieux pylônes se caractérisent par une construction de trois tiges de métal liées en un point commun donnant à l'ensemble une forme triangulaire, le tout tenant une unique poulie. Deux guides placés au niveau du câble ainsi qu'à côté de la poulie empêchent tout mauvais passage des perches.
Seul le brin montant est équipé de pylônes porteurs afin de garder le câble à une hauteur convenable pour le transport des passagers; le brin retour ne nécessitant pas cette hauteur minimale, seul un unique pylône proche de la gare amont dévie la ligne de quelques mètres afin d'espacer les deux brins du câble. Cette solution permet aux skieurs montants d'éviter tout contact avec les perches descendantes.
Description de la ligne.
(DR - schéma Julien Beaud)
Le téléski des Ruinettes depuis le restaurant.
(DR)
Le téléski des Ruinettes se présente ensuite au bas de la piste.
(DR)
La courte ligne au complet depuis la gare amont.
(DR)
La ligne proche de l'arrivée des Ruinettes.
(DR Téléverbier SA)
Le dernier pylône précédant le lâcher de la perche.
(DR Téléverbier SA)
La tête de pylône de forme pyramidale.
(DR Téléverbier SA)
La poulie retour flottante devant le majestueux Mont Rogneux.
(DR Téléverbier SA)
Le pylône de déviation du brin descendant.
(Dessin Julien Beaud)
Le nouveau remonte-pente des Ruinettes, bien que n'étant qu'un modeste produit de gamme français, n'en est pas moins le premier téléski à perches débrayables de Suisse ! La toute jeune Société du Télésiège de Médran n'a pas hésité, tout comme pour la télécabine, de choisir une installation novatrice n'ayant encore jamais été vue sur le territoire helvétique.
Et c'est de cela qu'elle tirera sa force. Alliée de Giovanola qui cherche à s'imposer durablement, la profonde ambition de la société du Télésiège, son esprit pionner et profondément innovateur, le goût du risque et un amour passionnel qu'elle porte à sa terre l'amèneront à devenir une des plus célèbres stations de ski au monde.
Une skieuse arrivant bientôt au haut de la Tête. Giovanola livrera en décembre de cette même année le téléski type B sur les pentes
de Soussillon, dans le Val d'Anniviers, reprenant la gare légère Poma Baby haubanée et des ouvrages de ligne à trépied sans fondation
équipant déjà les Ruinettes. Un troisième et dernier appareil inauguré le 27 décembre 1951 à Caux sera équipé de pylônes légers.
(DR Téléverbier SA)
Anecdote qui mérite bien de se figurer dans ce reportage, le 22 janvier 1953, accompagné de Michel Luisier de la station cantonale d'entomologie, M. Geiger pose un appareil étrange en ces lieux au-dessous de la buvette des Ruinettes, le tout à 2200 mètres d'altitude et sur une pente inclinée à 40 degrés.
En quelques instants, le « Piper » fut entouré d'une foule de skieurs admiratifs. A la demande de M. Geiger, ceux-ci poussèrent l'avion (monté sur skis) un peu plus haut, sur un replat. De là, M. Geiger fit un essai de décollage qui réussit parfaitement et quelques secondes après il atterrissait près du sommet des Ruinettes. Encore une glissade sur la pente vertigineuse et le « Piper » s'envolait vers l aérodrome de Sion.
M. Geiger va tenter, dans la vallée de Conches, un essai qui mérite d'être suivi de près. En effet, à l'occasion d'un concours de ski, l'as-pilote va faire la navette avec son avion entre la ligne d'arrivée et le point de départ où il transportera tous les concurrents.
L'avion, moyen de remontée ? Pas encore à la portée de chacun, certes , mais il faut reconnaître que cette initiative est appelée à voir un développement inattendu et qu'elle peut rendre au tourisme les plus grands services.
M. Geiger vient de poser son avion aux Ruinettes. Rapidement, les skieurs s'empressent d'approcher le curieux engin.
(DR Téléverbier SA)
Le Piper est mal orienté. Geiger peut compter sur l'admirable prouesse des passants n'hésitant pas à pousser l'avion.
(DR Téléverbier SA)
La force des bras combinée à la puissance du moteur à essence est suffisante pour ramener l'avion en bonne voie.
(DR Téléverbier SA)
Et là-haut dans le ciel, tu t'envoles, tu t'envoles.
(DR Téléverbier SA)
L'heure est au bilan. La troisième année du télésiège venant de débuter, il est intéressant de remarquer la forte croissance du nombre de passagers : le premier mois de décembre 1950 vit le passage de 3949 client. Ce chiffre augmentera rapidement l'année suivante, avec un pic de passage de 8125 clients en mars 1951. Ce nombre sera doublé en février 1952 avec plus de 10'269 touristes acheminés aux Ruinettes. Et en janvier 1953, un nouveau record vient d'être établi avec le passage de plus de 22'500 clients ! Il est tout à fait censé, pour conclure cette énumération, de citer une lettre que La société du Télésiège remit à l'entreprise Giovanola :
« Il y a vingt ans encore, le plateau de Verbier n'était qu'un modeste mayen, égayé en automne par les cloches des troupeaux rentrant des alpages. Depuis la construction de la route, Verbier n'a cessé de se développer, attirant les familles et les personnes en quête de repos.
La construction du Télésiège de Médran est venue transformer cette jeune station. D'une grande perfection technique, il dessert des pistes remarquables où la neige se maintient favorable jusque tard dans la saison. Les sportifs, les skieurs de piste et de montagne se dirigent maintenant toujours plus nombreux vers Verbier-Montzeur, «La porte de la Haute Roule». Le contrôle du débit a établi, certains jours de grosse affluence, que pendant plusieurs heures de suite le télésiège peul monter 380 personnes à l'heure, sans qu'il en résulte aucun échauffement des machines.
Le succès que nous avons obtenu est tel, que déjà nous envisageons la prolongation de nos installations jusqu'au Col des Vaux à 2700 m d'altitude. Lorsque cette nouvelle étape aura été atteinte, Verbier se classera parmi les plus belles stations de sports d'hiver de Suisse, pouvant offrir au public des descentes de 2200 m de différence de niveau.
Qu'il nous soit permis d'exprimer l'hommage de notre reconnaissance à MM. Giovanola et en particulier à M. Marc Dumur, ingénieur. Ils sont à l'origine de celte heureuse évolution. »
Rodolphe Tissières
Martigny, le 10 mars 1953.
Julien Beaud - février 2019
Sources
Médiathèque Valais-Martigny
Téléverbier SA
Commune de Bagnes
Archives du Nouvelliste
50 ans Téléverbier: passé, présent, futur
Remerciements
Lionel May: Directeur exploitation de Téléverbier
Caty Darbellay : Photo Edition Darbellay SA en liquidation
Laurent Berne
Pierre Bessot
Nicolas Maillard
Remerciements particuliers à benbel pour la relecture de ce reportage.
Ce message a été modifié par Jubiproduction - 14 février 2019 - 20:15 .