Le marché des touristes du ski aisé existe oui, qu'il soit français ou étranger (le ski de base reste un loisir pratiqué par une clientèle aisée). Pour comprendre le clivage sur le sujet qu'il existe chez nous (on le retrouve aussi en Suisse et en Autriche mais moins prononcé j'ai l'impression, aux USA il semble absent), je crois qu'il faut faire un peu d'histoire. La France propose un cas particulier dans le monde car elle a placé le ski comme une pratique populaire au moment des plans neige dans les années 60-70. L'idée à l'époque était d'offrir une activité économique aux populations de montagne, confrontée à un exode important. Après la guerre, la montagne a été exploitée d'abord comme source d'énergie avec la campagne de construction de barrages hydroélectriques. Il fallait remettre à flot l'économie du pays, loger tous les sans-abris post-guerre, nourrir le pays, tout cela dans le but de garantir une stabilité politique et cela demande de l'énergie. Faute de quantité suffisante de pétrole, gaz et charbon, le plus rapide d'accès était la ressource hydroélec. Après la construction des barrages, il ne s'est plus passé grand chose jusqu'à la construction "à la chaîne" des stations de ski. Avec des logements type "HLM" construits à la chaîne et peu onéreux, l'attrait du ski en France a été croissant et les vacances de février même ont été créées pour envoyer les gens skier dans nos montagnes (le système des zones est aussi bâti pour le ski à l'origine).
Les exploitants, promoteurs et commerçants se sont vite rendus compte que la clientèle plus fortunée leur est plus profitable car elle consomme beaucoup plus que le reste (vous me direz, c'est d'une logique basique). Au fur et à mesure de l'avancée dans le temps, les plans neige se sont arrêtés en 1977 (discours de Vallouise) face à la contestation grandissante. Les gens voulaient que l'on s'attarde plus à respecter nos montagnes et on peut les comprendre lorsque l'on voit certaines stations bâties durant ces décennies (en particulier celles en site vierge). Le modèle du ski est bâti sur un cercle vertueux : plus de clients => extension du domaine skiable pour absorber l'augmentation de fréquentation => augmentation du parc immobilier pour attirer de nouveaux clients => augmentation du nombre de clients pour remplir les lits, les dénominateurs communs étant la rentabilité et la neige. Cependant, ce modèle s'arrête net si la rentabilité, la neige ou l'un des trois maillons s'effondre. Selon les cas, c'est la neige qui fait défaut, d'autres ce sont les finances, d'autres la fréquentation en berne. Face à une diminution de la clientèle ""populaire"" (au regard du coût d'un séjour au ski, je mets deux paires de guillemets), les exploitants doivent miser sur le reste, à savoir ceux qui dépensent le plus et ce sont les étrangers. Il en va de la survie de leur modèle, donc de la station, donc des emplois de toute une vallée, donc de l'attractivité du territoire, donc de la présence de services (commerces, médecins etc.). En général, l'un des arguments que l'on entend le plus pour réaliser un projet immobilier ou une RM c'est "que le territoire va mourir si on ne le fait pas". Car il faut bien comprendre que, désormais, la plupart de nos vallées équipées en stations sont totalement tournées vers elles et en dépendent directement. Ainsi, la préservation de la clientèle étrangère à fort pouvoir d'achat est parfois un enjeu de vie ou de mort. Cela explique aussi en partie la négligence, parfois presque assumée, de la clientèle française à pouvoir d'achat plus restreint ainsi que des locaux (parkings hors de prix, forfaits toujours plus chers, restos aux prix excessifs, etc.). Dans les têtes des directions, à mes yeux, ils considèrent que les français soit viendront toujours, soit seront remplacés par des étrangers et iront ailleurs si leur pouvoir d'achat ne leur permet plus de venir dans la station. Donc sur le papier c'est gagnant. Et j'en viens aux problèmes avec cette clientèle : ses attentes sont très différentes de la majorité ""populaire"", en particulier les jeunes. Les étrangers aisés attendent des hôtels de luxe, un domaine avec la garantie neige, des fêtes, des concerts, des boites de nuit, des restaurants "typiques", des panoramas, des spots photos et tout un tas d'autres babioles. Concrètement, le concept de la Folie Douce ou encore de TomorrowLand Winter est tourné vers cette clientèle là, et ça marche, à l'Alpe d'Huez pendant le festival on entend parler toutes les langues. Cette clientèle utilise cependant la montagne comme un décor à consommer et non comme un cadre de pratique sportive ou de ressourcement. Dit grossièrement, le but c'est de faire la fête et de repartir décuver chez soi, de toute façon c'est loin et on y vient qu'une fois par an, donc les enjeux locaux, bof ce n'est pas passionnant (rappel : c'est dit vulgairement). Les stations n'ont pas le droit à l'erreur car cette clientèle est extrêmement volatile, au regard de son pouvoir d'achat élevé. Si ils sont déçus, la concurrence est présente en Europe, mais aussi aux USA, sans oublier les destinations "mer" proches de l'Equateur, avec une météo favorable aux vacances presque toute l'année. Le français au pouvoir d'achat modéré, si il est déçu, ne va pas forcément réserver un séjour aux Maldives ou aux Bahamas. Il restera potentiellement plus fidèle à son pays et donc fera tourner notre économie. Sauf qu'il a un écueil, il ne dépense "pas assez" durant son séjour. Donc les stations françaises construisent des résidences de luxe, cherchent à attirer les tours operators, étendent au maximum les réseaux de neige artificielle pour avoir la garantie neige, voire essayent d'étendre leur domaine skiable et créent des évènements pour fidéliser la clientèle étrangère. Le dernier "pied de nez" aux français, si je puis dire, est que l'on nous dit que, si ces destinations sont trop chères, il reste plein de destinations moins chères et plus "nature". Oui, sauf que la garantie neige, à part quelques pépites bien cachées (Beaufortain par exemple), ce n'est pas la même. Car on parle ici des Vosges, du Jura, du Massif Central et des préalpes. Niveau immobilier, le résultat est la construction toujours plus importante de logements pour ces gens au détriment des locaux, qui n'arrivent plus à se loger à des prix décents dans de nombreux endroits des Alpes (il est plus rentable d'acheter un bien à louer aux vacanciers que de louer à l'année). Par exemple, je pense que l'on peut partiellement rapprocher la baisse de la population dans le 05 avec cette flambée des prix de l'immobilier due en partie à la clientèle aisée du ski (ce n'est pas l'unique facteur, mais cela en fait partie). La clientèle étrangère vient aussi très majoritairement de loin, donc en avion, la part du train étant peau de chagrin (au plus quelques %), et l'avion vert, ça n'existera jamais à trafic aérien égal à celui d'aujourd'hui.
Cependant, de l'autre côté, on ne peut absolument pas nier les apports économiques de la clientèle étrangère dans nos vallées. Sans cet argent, la population ne pourrait pas vivre aussi confortablement qu'actuellement et disposer d'autant de services dans des régions pourtant très reculées. En montagne, on ne trouvera jamais une proportion d'emplois industriels ou de services (hors tourisme) aussi importante qu'en plaine, le tourisme restera l'un des piliers économiques. On peut donc difficilement dire qu'il faut arrêter le ski du jour au lendemain (comme le prônent certaines associations en particulier les plus radicales), ce serait dramatique pour les habitants. Ainsi, des projets de pérennisation de l'existant afin d'assurer une transition en douceur sur certains sites sont perçus à tord comme des fuites en avant (le 3ème tronçon du TPH de La Grave depuis l'abandon de la liaison avec les 2 Alpes est un exemple emblématique de réalisation tournée vers un tourisme 4 saisons et non vers du ski pur).
En face, les attentes de la majorité des clients français sont très différentes : un cadre plus préservé mais confortable, de la place pour les familles, du calme mais aussi et surtout surtout surtout... des prix abordables. Aux Deux-Alpes, désormais tu payes 30 € de parking à la journée + 63 € de forfait de ski. Tu en es quasiment à 100 € pour une journée de ski sans même avoir chaussé ton matériel, ni être équipé, sans manger et sans monter à la station.
Conclusion de tout mon message : une fois que la clientèle étrangère ne pourra plus venir, faute de carburant pour faire des vols saisonniers (qui sauteront en premier avec les lignes déficitaires comparé aux liaisons aériennes régulières plus rentables) ou alors qu'elle ne viendra plus faute de suffisamment de neige, que restera-t-il (on parle ici d'un horizon au-delà de 50 ans) ? Des hôtels vides, des chalets fermés abandonnés, des domaines à l'abandon ? Le touriste étranger lui, ne verra rien de tout cela, mais les locaux, la clientèle française oui. Et c'est là tout le problème, on le voit en été, les spots de montagne qui attirent les vacanciers ne sont pas ceux supports des stations plans neige ou avec des chalets cossus. Donc exploiter ce marché oui, mais que fera-t-on de toutes ces infrastructures une fois qu'il se sera tari aussi vite qu'il s'est développé... (question rhétorique). C'est pour cela que je dis qu'un équilibre doit être trouvé, entre nécessité économique à court terme et enjeux de transition et d'attractivité plus locale du territoire à long terme.
Voilà, c'est trèèèèèèèèèèèèèèèèèèèès long, je le sais, beaucoup de membres vont sûrement me considérer comme un écolo intégriste anti-stations, ce qui n'est pas le cas, et j'espère que je ne lirai pas d'attaque en réponse à mon message. Le sujet est presque tabou en montagne et suscite très rapidement la polémique tellement il est clivant. C'est très vaste et très compliqué à traiter, j'ai fait le moins de raccourcis et clichés possibles mais il est impossible d'être synthétique sur une telle question.
J'ai fini, rideau, bonsoir