Eco Pays de Savoie 18/11/2022
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Après la crise sanitaire, les stations de sports d’hiver doivent à nouveau répondre à de nouvelles contraintes économiques dans une conjoncture où le prix des énergies s’envole, où l’accès aux ressources interroge et où les préoccupations environnementales s’amoncellent. État des lieux.
En cette fin d’automne, les gestionnaires de domaines skiables oscillent entre prudence et alternatives. Jérôme Grelet, directeur de la Setam à Val Thorens, est clair sur ce point. Avec une note d’électricité multipliée par 10, voire par 20, il préfère lever le pied sur les investissements. Antoine Bellet est tout aussi préoccupé. Le directeur de Valmorel enregistre des hausses de fournitures supérieures à 20 %.
Avec sa collectivité support, il réfléchit à installer des unités de production alternatives et, sans attendre, a rénové l’armoire de pilotage du téléski du Rocher pour diviser par trois la vitesse de l’appareil lorsqu’aucune perche n’est détectée en ligne. Sur l’autre versant du Grand Domaine, la station reliée de Saint- François-Longchamp subit des coûts d’énergie en hausse de 30 %. Alors qu’est engagé cet hiver le bilan carbone des activités, son directeur, Nicolas Colombani, ne fermera pas d’appareil « pour ne pas impacter nos clientèles », mais promet un pilotage des remontées au cordeau.
Des investissements sources d’économies
Alors qu’il faut jongler avec la hausse des cours de l’énergie et des matières premières, les domaines ajustent leur fonctionnement sur l’ensemble des postes. « Nous continuons de raisonner avec le bon sens historique qui nous guide en matière de sobriété énergétique : l’éco-conduite des engins de damage pour moins de carburant consommé et des remontées mécaniques dont les vitesses s’adaptent aux fréquentations », poursuit Nicolas Colombani.
« Stop au stress », résume Alexandre Maulin. « Nous sommes en avance sur les attitudes de sobriété et d’économie d’énergie sur l’ensemble des domaines skiables, eu égard aux engagements de la France. Et nous continuons », insiste le président de Domaines Skiables de France, syndicat professionnel des exploitants. Il n’en demeure pas moins que les investissements sont clairement réorientés vers les économies.
Le domaine de Méribel Alpina a ainsi remplacé les têtes de ses enneigeurs pour amoindrir les consommations d’eau et d’électricité. Sur Aussois, les pistes retour du secteur des Sétives reçoivent 340 000 euros pour un nouveau réseau d’enneigement moins énergivore. En Maurienne toujours, la Sogenor, qui gère les domaines de Valfréjus et de La Norma, fermera une semaine plus tôt pour économiser des charges de personnels, d’entretien et d’énergie.
Dans les Bauges, la station du Semnoz abaissera le chauffage dans les cabanes qui bordent les départs et les arrivées des remontées. Ses conducteurs de dameuse seront par ailleurs invités à limiter la largeur des pistes au gré de la fréquentation afin d’amoindrir le nombre de “passages”, donc la consommation de carburant.
Coupures ou pas coupures ?
Les stations échapperont-elles aux coupures cet hiver ? François Chaumont, délégué RTE, Réseau de transport d’électricité, d’Auvergne-Rhône-Alpes, reconnaît que « cinq à dix journées seront délicates au cours de l’hiver selon les pires scenari ». Sans oser préciser le calendrier, il reconnaît un risque sur les vacances de Noël et de février, entre 8h et 13h puis entre 18h et 20h, périodes lors desquelles les locataires occupent massivement leurs logements (lumière, chauffage, douches).
« Sur ces journées, nous mettons en oeuvre le dispositif “écowatt”, un moyen d’alerte gradué en trois niveaux qui traduit le stress du réseau d’alimentation. » Son activation permet d’adresser des SMS aux gros consommateurs d’électricité volontaires (industriels, remontées mécaniques, ensembles immobiliers) pour les inviter à réduire leur appétit.
Des solutions plurielles
À Châtel, le coeur du domaine s’équipe d’une cuve de stockage de carburant pour réduire les trajets des dameuses et les transformateurs électriques bénéficient depuis un an d’une cure de jouvence pour optimiser leur fonctionnement. Après Les Gets en 2017, Avoriaz passe à la mesure de hauteur de neige. La station dote ses dameuses d’un logiciel qui facilite des productions et des répartitions rationalisées du tapis neigeux.
Le domaine skiable de Morzine fait de même tandis que la commune support réduit les illuminations de Noël et l’éclairage public, et abaisse la température des bains de l’espace aquatique. En Suisse, la question des économies d’énergie préoccupe tout autant Berno Stoffel, directeur de l’association des remontées mécaniques. En septembre, il déclarait à la télévision alémanique envisager une « réduction de la vitesse des installations, du nombre de télécabines ou des heures d’exploitation ». Là aussi, la baisse du chauffage et l’extinction des éclairages publicitaires font partie de l’arsenal anti-gaspi.
+20% sur les fournitures
Et il le faut cet arsenal, attendu que, à cette augmentation de charges, s’additionne celle des fournitures. Après une hausse de 4 à 5 % en moyenne annuelle sur les cinq dernières années, elle atteint 20 % cet hiver selon DSF. « L’augmentation des prix entre 2019 et 2022 sur une remontée mécanique clé en main voisine 30 % », reconnaît Denis Ribot. Le directeur de Prinoth Leitner justifie la tendance par la progression des charges et les délais pour obtenir les composants. « Nous commandons aujourd’hui ceux nécessaires pour l’année 2024. Sans quoi, nous devons adapter nos modèles. »
Même constat sur le secteur du BTP dans les stations. « Les entreprises ont été impactées par les difficultés d’approvisionnement pour mener à bien leurs chantiers, et par des prix de matériaux en progression de 10 à 30 %, à quoi s’ajoutent des coûts d’énergie triplés », précise Florence Thimon, secrétaire générale de la Fédération BTP de la Savoie. La fourniture de carrelages et de tuiles relevait même du parcours du combattant au lendemain de la fermeture d’usines de ces matériaux cuits avec du gaz.
Un contexte qui incite aussi à patienter avant d’engager de nouveaux travaux d’envergure : sur Val Cenis, Yves Dimier, directeur, compte bien attendre les bilans dressés au printemps 2023 et les recettes espérées sur l’hiver pour lancer le programme d’aménagement de 20 millions d’euros envisagé dans la délégation de service public sur Termignon « pour moderniser le front de neige et les remontées mécaniques ».
Des forfaits plus chers
Dans ces conditions, la contribution des usagers des stations de sports d’hiver apparaît incontournable. « Les exploitants n’écraseront pas leurs clients sous des hausses des forfaits de ski insupportables. Celles-ci sont majoritairement inférieures à l’inflation. Il n’y aura pas de sobriété au détriment de l’expérience client », promet Alexandre Maulin. Si le patron du domaine relié Les Sybelles a fait le choix de geler les prix de ses titres, la hausse moyenne sur une soixantaine de domaines atteint 6 % selon “Forfait2ski”.
« Nous n’avons d’autre choix cet hiver que de revaloriser le prix moyen de nos forfaits avec une hausse maximale de 9 %. C’est la seule condition pour assurer la pérennité de notre outil industriel après les hausses des fournitures énergétiques », reconnaît Antoine Bellet, sur Valmorel Grand Domaine. Pralognan-La-Vanoise fait de même. « La hausse moyenne des forfaits s’établit à 7 %. Nos clients peuvent la réduire en partie grâce à notre tarification dynamique », indique Christophe Sobra, directeur général de la destination.
Même s’il les considère « parmi les moins chers en Europe », Yves Dimier sait que le levier tarifaire est subtil. Le directeur de Val Cenis, également président de la commission communication et économie à DSF, augmente de cinq points la valeur de son forfait, mais observe « qu’à trop accroître les prix, nous pourrions perdre des clients ».
Des prix à la consommation en hausse
Quant aux prix à la consommation, l’annonce gouvernementale du 27 octobre en direction des PME confrontées à la crise de l’énergie, pour une prise en charge du quart de la consommation, pourra amortir les hausses. Pour autant, le président de la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française, Dominique Anract, considère les augmentations incontournables.
« Selon nos simulations, une facture d’électricité doublée se traduit par une hausse de 15 % sur les produits d’une boulangerie », indiquait-il fin octobre sur France Info. Les loyers risquent fort, eux aussi, de croître. Si la loi pour la protection du pouvoir d’achat, votée en août, plafonne à 3,5 % la variation de l’indice de référence des loyers, elle ne concerne pas les logements touristiques.
Alors que les prix de ventes immobilières en stations de sports d’hiver continuent de grimper en 2022, les locations suivent la même tendance. Selon la FNAIM, leur valeur progresse en moyenne de 2,2 % en Savoie, de 1,1 % en Haute-Savoie avant répercussion des hausses d’énergie.