Les acteurs du tourisme se sont réunis, le 4 avril, à La Plagne, pour dresser un premier bilan de l’hiver, plutôt remarquable après une saison noire. Mais l’avenir pourrait s’assombrir avec un possible recul des investissements.
«On est passé de l’obscurité à la lumière, après une saison noire », annonce d’entrée de jeu Vincent Rolland, coprésident de L’Agence Savoie Mont Blanc, en préambule de ce 25e Ski Debrief. Et Jean‑Luc Boch, président de l’Association nationale des maires de stations de montagne (ANMSM), de lancer un rien revanchard : « On nous a rebattu les oreilles qu’il fallait changer de modèle, mais ce qui attire le monde, c’est le ski alpin ! »
La preuve en chiffres. À commencer par les magasins de ski, qui enregistrent, au 15 mars, une croissance de 18 % de leur chiffre d’affaires par rapport à 2019-2020, à la vente comme à la location. De quoi redonner la banane aux loueurs.
Pour autant, Julien Gauthier, vice-président de l’Union sport & cycle (USC), organisatrice de l’événement, évoque « une saison sur le fil », en raison de la flambée de la pandémie en décembre et janvier, qui a fait craindre de nouveau une fermeture des domaines skiables. S’y ajoutent les difficultés sans précédent des entreprises à recruter et la covid à gérer.
Même constat du côté du groupe Skiset, dont il est également le directeur du développement et qui totalise plus de 700 magasins dans les stations françaises sous quatre enseignes (Skiset, Netski, Go Sport Montagne, Skimium) : « Les magasins en station de moyenne montagne ont performé, alors que ceux en altitude (Val d’Isère, Tignes, Val Thorens…) ont souffert de la baisse des clientèles étrangères jusqu’à la mi-janvier. Mais la saison n’est pas terminée. Les réservations jusqu’à fin avril se présentent bien. »
Plutôt de bon augure : les professionnels ont vu apparaître une néoclientèle de 20-30 ans dans tous les massifs. « Des primoskieurs citadins venus découvrir la montagne plusieurs fois dans l’hiver plutôt que d’aller passer un week‑end à Barcelone », souligne le vice-président de l’USC. Mais cette nouvelle clientèle continuera-t-elle à venir dans les stations une fois la situation revenue à la normale ?
Ce renouvellement et un tourisme tricolore ont fait la différence cet hiver, comme l’atteste l’activité des Écoles du ski français (ESF). « Elles devraient finir l’hiver en hausse de 5 à 10 %, avec une forte augmentation des cours particuliers, en janvier notamment », rapporte leur président, Éric Brèche, qui relève +36 % des ventes de cours en ligne comparativement à 2019-2020.
Le ski nordique s’inscrit dans la foulée de 2020-2021, réalisant sa deuxième meilleure saison historique. « La forte croissance des préventes montre que nous avons réussi à fidéliser les clientèles de l’hiver dernier », se félicite Marine Michel, présidente de Nordic France. À ce jour, les redevances atteignent 13 millions d’euros, contre 10 en moyenne (et 19,7 M€ en 2021).
Quant aux stations, leur fréquentation (62,2 %) progresse légèrement de 0,5 % par rapport à 2019-2020, tous massifs confondus (64 % dans les Alpes du Nord, +0,2 %), après le choc de l’hiver dernier. Côté hébergements, les hôtels et meublés tirent leur épingle du jeu, enregistrant chacun +10 %, à l’inverse des clubs et résidences de tourisme (-4 %). « La clientèle a privilégié les hébergements individuels, jugés moins à risque en période de covid », analyse Patrick Provost, président de l’Observatoire des stations de montagne de l’ANMSM.
Mais si tous les indicateurs sont au vert, tout comme ceux de Domaines skiables de France (DSF) qui affiche +1 % de journées skieurs par rapport aux trois années skiées précédentes (+4 % comparativement à 2019-2020) – avec toutefois 0 % en Savoie et -2 % en Haute-Savoie –, les exploitants de domaines skiables sont inquiets.
Au-delà de la pénurie de personnel qui a engendré des fermetures de remontées mécaniques cet hiver, ils subissent de plein fouet la hausse des coûts de l’énergie – notamment de l’électricité – et des matières premières qui fait flamber la facture. Yves Dimier, président de la commission “économie” de DSF, anticipe « un impact sur les investissements futurs ». Les opérateurs prévoient déjà de répercuter la hausse par une augmentation du prix du forfait de 5 %. Sur fond d’inflation et de guerre en Ukraine.
De plus, les collectivités, qui financent en partie les équipements, n’ont toujours pas reçu un centime de l’État, après un hiver 2021 à l’arrêt. « On ne sait toujours pas comment on va boucler nos budgets et on nous répond : “On verra après la présidentielle” », déplore Jean-Pierre Rougeaux, secrétaire général de l’ANMSM.
Et que dire du recrutement dans les années à venir, quand le défaut de main-d’œuvre crée des dysfonctionnements dans toutes les activités ? Des initiatives voient le jour entre différents opérateurs pour donner du travail à l’année aux saisonniers. Mais la route est encore longue, « car ces derniers, fragilisés pendant la crise, ont préféré changer de métier, choisissant d’autres secteurs », pointe Stéphanie Dayan, secrétaire nationale de la CFDT Services. « On doit proposer un emploi, un salaire, mais aussi une qualité de vie », enchaîne Fabrice Pannekoucke, président d’Auvergne-Rhône-Alpes Tourisme. Un avis partagé par Catherine de Bruyne, représentante du GNI, pour qui « il est nécessaire de repenser la saisonnalité. »