Envoyé spécial à Harbin et Yabuli, avec Stéphane Lagarde à Pékin,
Le thermomètre affiche -26°C en ce jour de janvier à Harbin, capitale de la province du Heilongjiang, en Mandchourie, dans le nord-est de la Chine. Ils sont des dizaines à faire la queue, en combinaisons multicolores, au pied d’un court téléski, non loin d’un des sites du Festival de sculptures sur glace. Ceux qui parviendront sans encombre au sommet de la petite colline pourront s’offrir quelques secondes de descente sur une très faible pente.
Jin Hu, 21 ans, vient pour la deuxième fois et elle est déjà très fière de ne plus croiser ses skis ! « Il y a de plus en plus de skieurs en Chine, de plus en plus de débutants, notamment des enfants », témoigne la jeune femme avant de saisir une perche pour entamer une nouvelle montée.
La Mandchourie dispose du plus grand domaine skiable du pays, même si des stations ont ouvert autour de Pékin et Shanghaï, à grand renfort de neige artificielle. L’office du tourisme d’Harbin recense 40 stations de ski dont 13 « au standard international ». La plus grande, la plus ancienne et la plus huppée, Yabuli, se trouve à 200 kms du chef-lieu de la province. Ses 17 pistes, qui courent sur une trentaine de kms, ont déjà accueilli les Jeux Asiatiques d’hiver ou les Jeux Olympiques universitaires. Pour rejoindre la station, une autoroute déroule son ruban de bitume dans un paysage digne de la Sibérie. La neige étincelle sous le soleil blanchâtre qui baigne de rares villages et quelques stations-services verglacées.
Des Caraïbes à la Mandchourie
Preuve de l’importance du marché des sports d’hiver, c’est à Yabuli que le Club Méditerranée a ouvert son premier village chinois, en novembre 2010. « La première année, nous étions 3 moniteurs issus de l’ESF, l’Ecole du ski français, se souvient Gregory Abad, directeur de l’école de ski du Club Med de Yabuli. Cette année, on a mis les bouchées doubles avec une dizaine de moniteurs français, auxquels s’ajoutent des Chinois, des Anglais, des Slovènes… »
Les clients, ou GM (« gentils membres ») dans le langage du Club Med, sont des touristes originaires de toute l’Asie, des expatriés basés à Pékin ou Shanghaï. Mais « le cœur de cible, ce sont les Chinois », précise Vincent Grandsire, le nouveau chef de village, arrivé en Chine après un passage dans les Caraïbes et en Turquie. « En moyenne, nous affichons un taux d’occupation de 50 %, en augmentation constante depuis l’ouverture ».
Un chiffre « satisfaisant » pour un établissement particulièrement luxueux, avec spa (confié à L’Occitane, une marque française de cosmétiques), bar jazzy, boîte de nuit, etc. Pour un séjour d’une semaine, selon la saison, les prix s’échelonnent entre 1 200 et 5 600 euros par personne, tout compris, hors transport.
Bien sûr, d’autres stations, moins bien équipées et d’un standing inférieur, affichent des tarifs plus accessibles, mais le ski reste un loisir onéreux en Chine. « Un bon équipement coûte plus cher qu’en Europe, confirme Yann Bobbi, moniteur-entraîneur, originaire de la station de Peisey-Vallandry, en Savoie (sud-est de la France). Les meilleurs skis sont français, donc il faut les importer, et les importations sont lourdement taxées en Chine ». Compter 2 000 euros pour s’équiper de la tête aux pieds.
Retrouvailles en famille
Dès lors, le ski est-il vraiment un loisir de la classe moyenne émergente ou un sport réservé à une élite ? Pour Guo Yuhua, sociologue à l’université de Tsinghua à Pékin, cette distinction n’a pas beaucoup de sens : « La définition de la classe moyenne reste encore très floue en Chine. Mais la société reste très pyramidale ». Selon elle, on retrouve sur les pistes « des gens qui occupent des postes importants dans le système chinois ». Leur profil ? « Ils sont plutôt à l’aise, ont un appartement, une ou deux voitures, peut-être une résidence secondaire. Ils ont les mêmes références en matière de consommation, pratiquent les mêmes sports et envoient leurs enfants dans les mêmes écoles que leurs amis ».
Comme les autres voyagistes, le Club Med a du s’adapter à cette clientèle chinoise qui recherche les standards internationaux… Tout en gardant son identité. « Les séjours au ski sont plus courts qu’en Europe : 3 jours en moyenne, détaille Vincent Grandsire. C’est un moment de retrouvailles en famille : le reste de l’année, les papas n’ont pas beaucoup le temps de s’occuper de leurs enfants. Et puis, ajoute le chef du village de vacances, les Chinois passent rapidement d’une activité à l’autre ». Pas question de rester une journée entière sur les pistes : après une heure de ski, rendez-vous au club de fitness avant de finir la journée par l’inévitable photo du soleil couchant sur les montagnes du Heilongjiang.
D’énormes progrès en matière de sécurité
Alors que les pistes s’apprêtent justement à fermer, un groupe de moniteurs stagiaires de l’Ecole de ski français se prépare pour une dernière descente. Jérémie, Rémi, Bart et Robin trouvent la neige « excellente », le damage des pistes « super » mais il faut, selon eux, améliorer la sécurité en installant plus de filets et de coussins en mousse pour éviter les chocs violents contre les sapins.
D’énormes progrès ont déjà été faits. A Yabuli, les anciennes télécabines ont été remplacées par du matériel neuf, fabriqué par une entreprise française, Poma, fondée en 1936. Au club enfant, tous les petits skieurs portent un casque « alors qu’il y a dix ans, le ski était interdit aux enfants en Chine pour des raisons de sécurité », se souvient Yann Bobbi.
Du haut de la colline qui domine la station, le regard tourné vers la chaîne de montagnes qui court jusqu’à Vladivostok (Russie), le moniteur mesure le chemin parcouru : « Il y a quelques années, il n’y avait ni autoroute ni train pour venir jusqu’à Yabuli. Si vous revenez dans quelques années, je suis sûr qu’il y aura deux fois plus de remontées mécaniques ».
Cela ne fait guère de doute. Plus bas dans la vallée, à Harbin, l’office de tourisme annonce l’ouverture en 2017 d’une station de ski en intérieur, comme à Dubaï.