Le rapport du BEA est paru cet été :
https://www.bea-tt.d...vel_rapport.pdf
Le récit du conducteur est glaçant :
Citation
Le conducteur lance donc l’essai F2, il est 12 h 10. La cabine n° 1 est positionnée en gare amont. C’est un lancement semi-automatique : le conducteur coche le test sur l’ordinateur puis valide et lance l’essai : la cabine doit parcourir 260 mètres puis le freinage sera commandé automatiquement. La cabine franchit le point de lancement de l’essai. Le conducteur regarde la courbe à l’ordinateur et voit que la vitesse s’emballe. Il entend le système mécanique de détection de survitesse qui se déclenche. La cabine continue à prendre de la vitesse. Il essaye d’arrêter en utilisant tous les boutons-poussoirs d’arrêt sur le pupitre. L’électricien coupe l’armoire de commande derrière lui. La cabine approche du pylône. Toutes les personnes présentes sortent du poste de pilotage. L’électricien descend en machinerie par l’escalier, le conducteur le suit. Ils voient les freins qui sont tombés [serrés], de la fumée s’échappe des quatre pinces. Ils coupent les armoires de puissance. Aux bruits de l’installation, le conducteur entend que la cabine ralentit puis accélère de nouveau. Au moment où ils sortent de la machinerie par l’arrière, ils entendent le crash.
Il y avait 2 systèmes de freinage mécaniques et assez similaires F1 (service) et F2 (urgence). Mais en exploitation commerciale hors arrêt d'urgence, le ralentissement se faisait principalement et même peut-être uniquement par décélération électrique (le rapport n'est pas clair sur ce point), le freinage mécanique (F1) s'enclenchant une fois le câble à l'arrêt ou presque. Autrement dit les freins mécaniques semblaient très peu sollicités au quotidien.
Lors de l'inspection annuelle, les essais de freinage étaient effectués dans les conditions les plus défavorables (cabine pleine, en descente, à pleine vitesse, en déséquilibre avec l'autre cabine) mais toujours dans une configuration potentiellement commerciale. (A l'épque de l'accident, des responsables de la S3V avaient dit dans la presse que les cabines étaient volontairement surchargées et en survitesse lors de ces essais, c'était un mensonge...)
Normalement un seul des deux freins devait suffire à arrêter la cabine dans cette configuration. Lors de l'accident, le frein 2 d'urgence n'a même pas permis de
ralentir la cabine, celle-ci a continué à accélérer jusqu'à une vitesse estimée à 16,5m/s (vitesse max autorisée 11m/s !). Puis même avec les 2 freins en simultané la cabine ne s'est pas arrêtée, entrant en collision avec la gare aval 1min + tard à grande vitesse (8m/s).
Lors des essais réalisés juste avant celui de l'accident, la vitesse à laquelle la capacité de freinage se dégrade est hallucinante. En 1 matinée et seulement quelques essais on passe d'une situation où le freinage est normal (voire même trop important !) à une situation où le frein n'arrive même pas à stopper la cabine ! Et cette dégradation rapide a été observée sur les 2 systèmes de freins.
Quelques passages du rapport sont édifiants :
- La référence des plaquettes de frein avait été changée en 2019, sans que cette nouvelle référence ne fasse l'objet d'une analyse ou d'essais pour s'assurer de sa compatibilité avec la Saulire.
- Le système de freinage présentait différentes anomalies qui semblaient n'avoir jamais été identifiées jusqu'au rapport du BEA: des couples de freinage anormalement différents entre jeux de freins, des freins non parallèles à la bande de frottement.
- Certains réglages très impactant sur la capacité de freinage étaient inconnus du personnel :
Citation
"La limitation des capacités par la butée n’était pas connue des agents S3V présents. De plus, une mise en garde sur cette butée n’était pas explicitement apportée dans la notice de réglage des freins."
Le système semblait offrir peu de marge d'erreur, par ex l'usure d'une des plaquettes lors des 48h d'essais a été de 1,4mm (plaquette neuve de 10mm). Certes cette usure était anormale mais la tolérance semblait très faible :
Citation
"la limite de la capacité des plaquettes à être mises en contact normalement sur la piste de freinage est de 0,45 mm : au-delà, le piston est en butée et aucun effort n’est appliqué sur les plaquettes." "Cette contrainte existant depuis 1985 était méconnue par les agents de S3V présents lors de l’IA"
Des capteurs d'usure étaient présents mais non fonctionnels car déréglés, de toute façon ces derniers étaient :
Citation
"télémécaniques et même s’ils avaient été réglés lors de l’IA, ils n’auraient pu mesurer un millimètre d’usure"
J'ai le sentiment que l'incident a failli être évité. En lisant les récits des 5 personnes sur place, toutes semblaient avoir conscience que le frein 1 présentait un gros problème puisqu'il a été décidé d'interrompe l'inspection et les essais sur ce frein. (alors qu'ils auraient pu décider de modifier à nouveau son réglage). Ils ont alors décidé de faire un dernier test cette fois-ci sur le frein 2 (essai de l'incident), pour voir si lui aussi avait un souci. Je pense qu'ils étaient confiants, car contrairement au frein 1, le frein 2 n'avait nécessité aucun réglage depuis les 3j d'essais.
Malheureusement l'essai du frein 1 qu'ils venaient de réaliser montrait déjà un problème avec le frein 2, mais il semble que personne ne s'en soit aperçu. En effet lors de cet avant dernier essai, le frein 1 n'a pas réussi à arrêter la cabine, déclenchant le frein 2 en "renfort". Le frein 2 a bien réussi à arrêter la cabine mais dans un temps anormalement long. L'échec de ce test semble avoir été attribué uniquement au frein 1, ce qui peut se comprendre puisque c'était un essai du frein 1. Et personne semble avoir remarqué le freinage anormalement long du frein 2, malgré une alerte sur l'automate.
Finalement à la lecture du rapport je trouve qu'on s'en sort bien puisqu'il n'y a eu aucun blessé. Le problème de freinage aurait sans doute été possible en exploitation, car le système de frein n'était probablement plus "sûr" depuis longtemps :
Citation
"N’ayant pas de mesure d’épaisseur faite en 2019 et 2020, nous ne pouvons qu’avoir un doute raisonnable sur le fait les garnitures Cosid 132 se seraient usées différemment que les G95 dans le système de freinage et qu’on aurait pu être sur la "sellette" pendant deux ans sans s’en rendre compte."
. Paradoxalement le freinage électrique était peut-être plus sûr que le mécanique sur ce TPH, surtout depuis le changement de référence de plaquette.
Le BEA n'explore pas du tout ce point malheureusement mais j'ai le sentiment que l'absence de problème en exploitation a été lié :
- à l'absence ou presque de descentes en charge pleine (je doute qu'il y ait 11,4T de randonneurs l'été et de de poubelles du restau à descendre). Les skieurs montent, et dans ce cas la gravité fait office d'excellent frein supplémentaire (cf données du rapport)
- conjugué au fait que les freins mécaniques semblaient très peu voire quasiment jamais utilisés lorsque le câble tournait. Donc peu d'usure.
Suite à cet incident le BEA est allé vérifier le seul TPH doté d'un système de freinage similaire (à Serre chevalier). Ils se sont rendus compte qu'il restait
0,02 millimètre de marge avant que le freinage du frein 1 soit inefficace !
(Point actualité : le TPH cime Caron n'est pas mentionné dans ce rapport donc j'imagine qu'il est de conception différente. Les 2 évènements n'ont donc sans doute pas de lien, surtout que comme je le disais plus haut, en montée (situation de l'accident sur cime Caron), la gravité est un excellent frein.
Ce message a été modifié par Kapue - 21 novembre 2024 - 20:50 .